27.2.07

A la verticale des nuages

En franchissant le portique du parc Meiji, je me suis rendue compte que je n'y étais pas venue depuis plus d'un an. Un an. Le temps, ici, ne passe pas comme ailleurs.

J'ai tourné à droite avec l'étrange impression de ne pas choisir. C'était une évidence d'être au milieu du bois, de suivre ces allées désertes.

Au loin, j'entendais les trains, seul signe d'une existence humaine, quelque part. Sans eux et les corbeaux, j'aurais pu me croire seule au monde.
Et ce sentiment n'était pas effrayant.

Aux abords du temple, même les corbeaux se sont tus.

Et ça a été, tout à coup, une plénitude entière. Une force puissante et douce à la fois transmise par le relief du dessin des toits sur le ciel, par ce silence singulier.

Le temple est une parenthèse hors du monde et l'inquiétude déserte sa cour carrée.

Avant de m'en éloigner, j'ai fait le voeu d'encore en vivre beaucoup, des instants comme celui-là.

Sur la pelouse, les silhouettes étaient, comme la mienne, solitaires et nonchalantes. Et les oiseaux volaient en ricochets.



Les nuages dessinaient une géographie imaginée.

Plus tard, le soleil a embrasé le ciel de Yoyogi.

Et, une fois la nuit tombée, il y a eu un thé vert, un goûter, une fillette mi-lapin mi-danseuse, un merci dans un mélange de couleurs scintillantes et un joli compliment que je retiens précieusement.

Tuesday self portrait

Il est étrange d’emballer sa vie dans des cartons, de les clore par du gros scotch marron et de n’avoir –comme unique certitude- que l’assurance que, quel que soit le jour où on les ouvrira, ça ne sera pas pour les disperser à nouveau entre les murs de cette maison.
J’ai quitté mon pays avec une valise et un billet d’avion sans retour.
Je ne suis pas partie en voyage.

Cela n’a rien d’aisé de choisir, parmi ce qu’on recouvre de papier journal, ce qu’on entasse, quelques bribes de son passé en prévision d’un avenir inconnu (mais n’est-ce pas le propre du futur, d’être toujours méconnu et plein de surprise ?).
Quelques objets qui seront dans la soute, au voyage parallèle à mes 12 heures d’insomnie.

Comment savoir à l’avance ce qui nous fera défaut ?
Je me suis, alors, résolue à une vie légère, connaissant suffisamment ma mémoire pour savoir que ma vie passée y est aussi bien consignée que dans n’importe quel carnet, n’importe quel album photo.

Dans la valise, il y avait, entre les pantalons et les chaussures, quelques pages, quelques livres amis. Quelques notes, quelques disques parmi les essentiels.
Et une boîte de photos.

Les derniers clichés de l’été : mes cheveux bleus dans la chaleur du jardin d’Orléans.
Les mèches rouges de Clémence. La robe à bretelles de Chloé. Robin intermittent, entre deux plongeons dans la piscine. Les cris de Louise et Lélio suspendus à la roulette « Goline, regaaaaarde ! ». Les yeux bleus et paisibles du petit Carol. La photo des trois frangines. Comment ont-ils fait ça, nos parents ? A 3 ans d’intervalle, 3 fois la même voix. La même fille avec quelques variantes « et si on essayait en blond, cette fois ?! ». Le sourire de Maman, ses boucles que quelqu’un d’autre que moi coupera –mais pas trop souvent. Papa qui mime la concentration, derrière ses cartes –perdantes, sans doute ! Puis la photo des 3 beaux-frères qui jouent le martyre de St Sébastien.

J’aurais pu les y laisser, ces dernières photos du sol français : à l’instant où j’appuyais sur le déclencheur, elles étaient déjà dans mon cœur.

Me décider pour quelques autres. Des portraits du chat gris. Des polaroïds « goûte mes frites » d’un 19 février à Stella Plage. Et quelques auto-portraits.

Plusieurs de mes amis s’étaient reconnus sans aucune hésitation dans celui-là.
Au point que je l’ai appelé « l’auto-portrait de tout le monde ».
En le glissant dans mes bagages, je me suis dit que, peut-être, dans cet autre bout du monde où je le transportais, d’autres personnes y verraient, elles aussi, quelque chose d’elles-mêmes.

26.2.07

Fragile

A quoi ça tient ?
Au ciel plus bleu, plus grand ?
Aux avenues démesurées ?
A l'énergie que répand la ville dans mes veines ?
Parfois, à Tokyo, je me sens libre et fière.

Tentée de vivre ma vie la tête à l'envers, sans les freins-sans les mains. Une vie de grand huit, une vie de tourbillon.

Et puis, soudain, au coin d'un trottoir, un rappel en forme de fleurs.
Oui, je ne suis qu'un entrelac d'artères, de veines, de muscles par endroit...
Je suis humaine. Je suis mortelle.
Alors, je regarde en traversant la rue.

25.2.07

Bon, bon, bon...


Au menu : gyozas maison, muffins aux tomates séchées, gâteau banane-peanuts-butter, tarte au citron, paté au miso...

En les attendant, juste le temps de prendre quelques photos...

Au matin, on ne s'était pas encore tout dit alors on a poursuivi la conversation pendant que le soleil se levait.
Les plats sont vides, la vaisselle attendra, l'heure est au-delà du sommeil... A Harajuku...

23.2.07

Saturday wait ! And sunday always comes too late...


Un vendredi sous la pluie, un jour sirop-à-l'eau.

Grenadine ou orgeat, j'hésite encore.

Le cake, lui, est au macha.

Pendant qu'il cuit, je fais le tri.

Ranger ses tiroirs, c'est un peu ordonner ses pensées.

Avant de les enfermer dans un carnet, je hisse ici les couleurs de la ville.
Couleurs aussitôt anciennes de l'appareil instantané.
Ces clichés sont datés, comme s'ils appartenaient à une époque où j'étais à peine née.

Finalement, ce sera un thé... (Le N°25 du Palais des thés donne l'illusion de boire un liquide doré et précieux de chez Chanel.)

Elle n'a dit ni oui ni non : c'est une fille avec un garçon


"Mais pourquoi tu t'intéresses à moi ?
-Je ne peux pas dire. Pour le moment, je n'arrive pas à bien l'expliquer. Il se pourrait qu'à force de se revoir, de se parler, une sorte de musique à la Francis Lai surgisse de nulle part, que les raisons concrètes de l'intérêt que je te porte s'accumulent, les unes sur les autres... Et là, peut-être que la neige ne fondra pas, qu'elle s'entassera."
Haruki Murakami. Le passage de la nuit.

21.2.07

Des journées sous les arbres


Il y a une heure nostalgique. C'est l'heure où le soleil commence à décliner, à raser les toits des immeubles, à changer la ville en trésor scintillant.

C'est l'heure où l'ombre gagne les marches du parc et où les jeunes filles croisent frileusement leurs bras dans leur manteau après avoir ajusté une mèche de cheveux.

C'est l'heure où il est temps de savoir son texte quand on l'a répété tout l'après-midi.

C'est l'heure où, même si on joue depuis des heures, on a envie que ça ne s'arrête jamais, que ça ne s'arrête pas tout de suite : on a encore des cris en réserve, de l'énergie, ça, toujours.

Cette heure, c'est celle où commence, pour moi, une autre journée et, traversant Kabukicho, slalomant entre les passants, j'ai le temps de faire le compte des bonnes surprises des premières heures.

J'aime comment, à Tokyo, le hasard se mêle de mes rencontres et m'entoure de tant de ces belles personnes bienveillantes.
J'ai de la chance, ça oui.

Avec elle, le pain vient de chez Kaiser et la soupe de légumes se boit chaude, transportée jusqu'au parc, jusqu'au banc ensoleillé. Avec elle, la vie a un accent de Toulouse.

A l'heure où il fait nuit, les avenues sont fluides et je dépasse les taxis. Du vélo sans les freins, des descentes en roue libre. Shinjuku-Ochanomizu : 20 minutes. Je chante en pédalant.
Cette nuit, il y a mille étoiles sur le toit de l'hôtel Cosmo.

(Agnès, ces fleurs sont pour toi : merci pour le bouquet d'oiseaux parisiens ! Il y aura d'autres 19 février, assurément, tant d'autres aux éclats de rire. Tu es en vie, toi, n'oublie pas...)

20.2.07

Tuesday self portrait


"C'est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt que tout recommence, que tout commence, que tout continue"
Georges Pérec. Un homme qui dort.

(Nouvelle programmation dans la radio. Que des garçons plus une fille. Si vous dormez dans la Yamanote ou ailleurs, rien de tout cela ne vous réveillera)

19.2.07

Ici, la vie est bleue

Combien d'années faudra-t-il au 19 février pour redevenir un jour ordinaire, lisse et prêt à rentrer dans le rang ?

De combien de temps aura-t-il besoin pour se départir de son goût de Quincy ?

Il faudra être patiente avec cette date, ruser avec le calendrier, je le sais.

Ici, la vie est bleue.
La vie et rien d'autre.

Et ce matin, le scénario est immuable : à droite ou tout droit ? Allez, tout droit pour une fois. Et le hasard est dans le virage. Ses affaires sont sur le trottoir et, même si je ne connais pas le kanji de "servez-vous", je le devine dans son écriture. D'ailleurs, elle arrive, les bras lourds d'une boîte de thé. "Emportez tout ce qui vous plait" me dit-elle en me pressant la main. Et elle sourit de mes exclamations devant tout ce qu'elle déballe et que j'entasse dans la boîte.

Son maquillage ne cache pas son âge mais c'est une dame et je ne vous dirai pas en quelle année elle a pu servir le thé dans la dînette.

Ses biens sont devenus les miens. Et sur le chemin me ramenant avec eux chez moi, je me suis dit que, à défaut d'avoir été fillette en même temps qu'elle, c'est maintenant que j'aurais aimé boire le thé avec elle.

18.2.07

De la neige dans le ciel

Il est encore meilleur, le dimanche plus que n'importe quel autre jour, de se réveiller à 6H30, entendre la pluie tomber depuis son lit et savoir qu'on n'a aucune raison d'en sortir.
Il y avait des traces de pas dans la neige de ma boîte aux lettres et j'ai répondu aux mots amis avant de faire chauffer l'eau. Le thé du dimanche matin a une robe verte et c'est toujours Bach qui s'occupe de la bande son de ces moments-là. Je ne sais plus quand sa cantate BWV 80 est devenue l'emblème des réveils dominicaux.
La pluie m'a donné envie de passer la journée sans bouger.
Et ça a commencé ainsi, en effet.
J'ai rassemblé autour de ma couette l'indispensable : le dernier livre de Dominique Fabre, la mousse tofu-banane-sésame-noir, l'ordinateur et sa musique.
Le temps a passé lentement. Il y a eu du riz et du natto. Le thé est devenu noir. Différentes voix ont chanté My funny Valentine (j'aime bien celle d'Elvis Costello, celle d'Etta James aussi). Un rendez-vous a été annulé sans regret. Il y a eu le piano de Keith Jarret (je ne pensais plus à lui mais c'était une bonne idée, bien sûr !).
Et puis, à l'heure du cantique de Jean Racine de Fauré, le ciel transformiste s'est changé en rêve d'aquarelliste.

Comment rester chez soi alors que, dehors, il fait beau ? Elle s'est posé la même question et a frappé à ma porte.

A Ikebukuro, on s'est regardées dans le miroir avec des cheveux longs mais longs (définitivement non !) et on est rentrées par Kaiser...

La porte refermée, j'ai fait semblant que, plutôt que celle du dîner, c'était encore l'heure du thé...

17.2.07

Coutumes locales

Je vis dans un pays où on enlève ses chaussures pour faire du toboggan.

Et où on retire ses mains, une fois qu'on a terminé le ménage.

16.2.07

No man's land


C'est un couloir entre deux lieux.
Un couloir qui n'a pas d'existence propre, aucune identité.
Les chaises, les bancs posés là n'ont pas de caractère.
Et j'aime imaginer que le sommeil dans lequel les dormeurs s'abîment n'a pas de réalité non plus, que les trotteuses de leurs montres sont à l'arrêt pendant tout le temps de la sieste. Et que, au réveil, ils retrouvent la course du monde sans avoir le moindre souvenir de s'être trouvés, à un moment de leur journée, dans une faille spatio-temporelle. Comme si de rien n'était...

15.2.07

On dirait qu'on serait lundi

Comme Madame Gâ était à Izu lundi, on s'est offert une séance de rattrapage aujourd'hui.

Ce jeudi avait donc des allures de début de semaine.

A Tokyo, c'est un peu tout ou rien.
Rien : hier et son cortège d'averses, de gris à couper au couteau, de parapluies encombrants dans le train, de chapeau sur les yeux, de courants d'air traitres et de buée à l'extérieur des vitres.

Tout : aujourd'hui et son ciel bleu sans accroc, ses airs de lendemains qui chantent.

Avec Madame Gâ, on a fait semblant de ne pas remarquer le vent qui nous rabattait les oreilles, qui m'avait empêchée de tracer droit à vélo... Et on a joué à "on dirait que ça serait le printemps".

On est allées acheter des onigiris, une salade... Et on a pique-niqué sur un banc, loin du bruit de la ville, dans ce petit parc aux allures charmantes et un peu parisiennes.