31.8.07

Nos jeudis

Nos jeudis tombaient parfois d'autres jours.

C'était de temps en temps chez moi qu'on prenait le petit déjeuner. De temps en temps chez elle. Il y avait souvent des muffins, toujours du lait de soja. Et, hier, de la crème aux agrumes.

Puis, nous partions, virevoltantes, dans la ville, croisant, certains jours, des squelettes qui nous faisaient nous réjouir de ne pas en être.

Nos journées se prolongeaient dans des cafés croquignolets.
Et nous y condamnions les tables de nuit, répétions comme à la télévision le verbe "chiner", plébiscitions le vert céladon, élaborions des projets à propos de sacs en kraft et buvions un chai.

Il y avait toujours une heure de fin à ces rendez-vous.

Et c'était souvent qu'elle arrivait trop vite.

Le Japon nous a fait aimer les napperons, qui l'eût cru ?

30.8.07

C'est jeudi !


Lassés des factures qui encombrent votre boîte aux lettres ??? Allez lire mon courrier ici, pour changer !

29.8.07

DANS LE TRAM VERS SUGAMO (Les tayakis)


Son sourire, son humour avaient sauvé cette soirée un peu tendue.
Il avait noté l’adresse de son atelier au dos de la carte professionnelle qu’elle lui avait donnée.
Elle lui avait fait promettre qu’il y viendrait un jour et lui donnerait son avis à propos de la série de photos sur laquelle elle travaillait.
Ils avaient atteint un degré d’intimité que favorise, parfois, le fait d’être dans la même situation de ne connaître personne à une soirée.
Il avait promis.
Au téléphone, ils avaient convenu de cette date mais il n’avait pas retrouvé le ton complice sur lequel ils s’étaient séparés et, à présent, il redoutait que cette visite soit une épreuve.
Mais il détestait trop les personnes qui ne respectent pas leurs engagements pour ne pas aller à ce rendez-vous.

C’était une belle journée, un lendemain de typhon.
Le ciel lui-même paraissait avoir été lavé par la pluie et affichait un bleu pur et clair.
Il était de bonne humeur et descendit en sautillant les dernières marches du perron de son immeuble.

Elle lui avait indiqué le moyen le plus simple de se rendre à son atelier : prendre le tram.
Aussi se dirigeait-il vers la station Waseda, le terminus.
Depuis combien d’années n’était-il pas monté dans le tram ? Au moins douze. Peut-être treize. Quatorze ?
Le véhicule n’était pas encore là mais déjà l’attendait une petite dizaine de personnes.
En constatant la moyenne de leur âge, il se souvint qu’on était le 24.
Or, tous les jours en quatre de chaque mois avait lieu le marché de Sugamo.
Et, quand il était un petit garçon, une fois par mois, il s’y rendait en tram en compagnie de sa grand-mère.
Aussi, lorsqu’il s’assit sur un siège usé du wagon, il eut l’impression de pénétrer dans une machine à remonter le temps.

Comme il lui semblait long, ce voyage !
-Regarde un peu comme cet arbuste a encore poussé ! s’enthousiasmait sa grand-mère lorsque la voie longeait les jardins particuliers.

Elle commentait invariablement l’ampleur de la végétation, lui faisait part de son avis concernant l’agencement des jardins, la couleur des rideaux choisie par leurs propriétaires.
Elle ne possédait qu’un appartement au minuscule balcon. Aussi, quand elle voyait ces maisons, elle rêvait.
Lui pensait qu’il était étrange d’avoir un jardin au fond duquel circulait régulièrement le tram chargé de passagers aussi curieux que sa grand-mère.
Et puis lui, il attendait la station Otsuka.
Elle lui indiquait qu’ils arrivaient bientôt et faisait quitter au tram les jardins pour lui faire rejoindre plus d’urbanité, plus d’animation.

D’arrêt en arrêt, le tram se remplissait davantage. Il n’était pas toujours le seul enfant : d’autres que lui accompagnaient leurs grands-parents. Plus rares étaient les personnes entre deux âges. Ou alors elle descendaient à d’autres arrêts.
Pourquoi le marché de Sugamo était-il fréquenté par autant de personnes âgées ? Il n’aurait su le dire. Cela n’avait pas d’importance à ses yeux.
Ce marché faisait, de toute façon, son bonheur.
Il aimait l’animation, les cris des marchands, la précipitation des passants qui le grisait. Il aimait cette foule qui le portait, manquait parfois de le bousculer.
Il aimait la répétition invariable de leur trajet d’un étal à l’autre.

D’abord les stands de vêtements auprès desquels il piaffait d’impatience, guettant avidement l’apparition du magasin de jouets à la vitrine chaque mois différente.
Ensuite, la pâtisserie.
C’était un jeu entre eux, un rite.
Sa grand-mère simulait l’hésitation entre deux pâtisseries alors qu’ils savaient parfaitement laquelle emportait ses suffrages. Elle argumentait, lui demandait son avis, faisait mine de réfléchir. Puis repartait, chaque mois, avec un paquet identique d’une fois sur l’autre.
La vendeuse, rompue à leur manège, avait pris le parti d’emballer les pâtisseries pendant leurs débats.
Puis, il y avait, enfin, l’arrêt au stand de tayakis, ces gâteaux en forme de poisson fourrés aux haricots rouges.
Il se collait à la vitre et observait leur fabrication pendant que sa grand-mère attendait dans la file.
Il se brûlait souvent la langue lors de la première bouchée mais c’était tellement meilleur bien chaud, même en plein été.
Ce qu’il aimait, c’était le contraste entre le croquant de la pâte et le fondant de l’anko.
Il grignotait son poisson lentement, l’entamait toujours par la queue, finissait par son œil et le faisait durer tout le temps du marché.
A la dernière miette, d’un ton plein d’emphase, il déclarait à sa grand-mère qu’il n’existait nulle part au monde de meilleurs tayakis que ceux de ce marché. Et sa grand-mère l’approuvait gravement en hochant la tête.

Lorsque le tram stoppa à l’arrêt de Sugamo, il ne put s’empêcher de se lever et d’être emporté par le flot de vieilles personnes quittant la rame.
Il se trouva vite dans une foule compacte qu’il dépassait d’une large tête.
Il reconnaissait les odeurs de poissons séchés, de yakisobas, d’okonomiyakis, les invites des marchands, les conversations mêlées des clients.
Il sortit son téléphone pour l’appeler, la prévenir de son retard, la prier de l’en excuser. Puis, sur une inspiration subite, il lui demanda si elle aimait les tayakis.
-Bien sûr, j’aime ça ! Tu es à Sugamo, n’est-ce pas ? J’entends les bruits du marché derrière toi ! Tu savais que les tayakis de Sugamo sont les meilleurs du monde ?!
Il raccrocha en souriant.

Devant le stand, sur le trottoir, il y avait trois chaises et, assises, trois vieilles dames qui dégustaient leur poisson en discutant.
Il aurait juré qu’elles étaient déjà là lorsqu’il était enfant.

(Les photos sont de E., merci E.)

28.8.07

Tuesday self portrait


Je m'allonge dans l'eau. Il n'y a plus que du bleu. Le bleu du ciel, le bleu de l'eau. Je suis le bleu.
Il n'y a plus que le bruit des vagues et, de mon corps, il n'est plus question.
ça s'appelle faire la planche.
Et moi, je suis bois flotté.

27.8.07

La lune est un mochi

J'ai dit à Ga qu'il fallait aller à Kichijôji, manger des mochimochipans au camembert.
Nous sommes arrivées au parc à 13H et nous avons choisi un banc. Nous avons pique-niqué en regardant les cygnes pédaler devant nous.

Nous avons toujours tant à nous dire.

Nous avons marché autour du bassin, fait le tour du parc, acheté une bouteille d'eau. Nous avons choisi un banc.

Nous ne nous étions pas encore tout dit.

Sur le banc voisin, ils étaient déjà installés à notre arrivée.
Nous avons fini nos bouteilles d'eau. La musique de 17H a sonné, le jour a commencé à décliner. Puis la nuit est tombée.
Pendant 2H30 ("mais ils pouvaient être là depuis le matin" a dit Ga), ils sont restés. Côte à côte. Regardant à droite, à gauche, devant. Ne se regardant pas, eux.

La nuit tombait mais nous n'allions pas interrompre notre conversation pour autant.

Pendant 2H30, ils sont restés. Côte à côte. Sans prononcer un seul mot. PAS UN SEUL. Puis, elle a regardé l'heure, elle lui a touché l'épaule, elle a dit "rentrons". Et ils sont partis.

Alors, nous sommes allées acheter des sobas et un dessert bizarre et nous sommes revenues. Nous avons choisi un banc.

Il nous fallait encore parler quelques heures.

Dix heures après notre arrivée, nous nous sommes levées. Au distributeur, nous avons acheté des mochis glacés. Et nous sommes rentrées.

En bavardant.

26.8.07

Produits non manufacturés

Quand je lui demande "c'est combien ?", il me répond invariablement : "combien vous me donnez ?"
Et nous finissons toujours par nous entendre.
Je n'aime pas les objets sans passé, lisses et sans histoire.

Je les préfère avec des bleus, des griffes, des taches de rouille comme des rides.

(La boîte a été marchandée à Yasukuni. Le bol acheté à Kamakura. Et la mousse de tofu était, aujourd'hui, aromatisée à la patate douce)

25.8.07

Le monde est bleu comme toi


Partir à Shimoda, c'est laisser derrière soi la ville et son jour de pluie.

Dans le train, les sièges sont dans le sens de la vue. Les wagons roulent dans la mer.

Et regarder à travers les vitres, c'est un peu visiter une exposition, traverser la salle des aquarelles.

Etre à Shimoda, c'est entrer dans le bleu.

Et, dans la mer, l'écume dessine l'écho des nuages.

Il faut savoir se laisser faire par le ressac, écouter la musique des vagues, écrire l'impérissable sur le sable...

Et cueillir les fleurs de la mer.

24.8.07

La maison des reves


Dans la maison au toit rouge, je vis recluse.
Mais il y a des prisons moins douces.
Ici, le cuisinier est un ami et je voudrais ne jamais voir se vider mon assiette.

ici, la maîtresse des lieux a les yeux et le rire clairs. Elle m'apprend comment dire "une personne intègre" (dekibutsu) et je pourrais utiliser ce mot pour parler d'elle.

Ici, c'est la forêt -ses vipères, ses pièges et ses sentiers pentus- qui a la clef de ma geôle.

Mais, en échange de ma liberté, elle m'offre des réveils magnifiques, des couchers de soleil magiques.

Ici, on a droit aux visites et Kazuko San installe sa bonne humeur et son exhubérance le temps d'une soirée.
Pour répondre à sa -difficile- question : "Qu'avez-vous préféré au Japon en deux ans ?", je choisis ce jour-là.
Mais, en deux ans, j'ai vécu tellement de moments parfaits au Japon...
J'aurais pu répondre aussi : un poisson à Sugamo, le reflet d'un temple, un jeudi bleu, une rivière découverte...
J'aurais pu répondre aussi : le thé Assam que, le matin même, j'avais bu sur le balcon.

Dans la maison au toit rouge, la montagne veille sur mon sommeil et, au réveil, je me souviens enfin de mes rêves.

23.8.07

C'est jeudi !


Le jeudi est un jour où je n'ouvre pas ma boîte aux lettres en vain. Et, ici, vous pouvez lire mon courrier !

22.8.07

L'éternité de l'instant

Au Shinjukugyoen, les jours de semaine, la pelouse m'appartient pendant de nombreuses heures.
J'y déroule ma natte, déballe mes onigiris, plante une paille dans ma brique de lait de soja.
Les fourmis chatouillent mon sommeil, explorent mon sac, traversent les pages de mon livre sans les lire.

"Ce qui lui plaisait le plus dans la vie c'était de regarder les nuages jusqu'à être envahie de bonheur; alors, lourde de sensations, elle énumérait les nuages qui inondaient son âme.
Elle préférait l'hiver à l'été; sa plus grande satisfaction consistait à jouir du spectacle des flocons à travers la fenêtre ou à répandre de l'encre dans le jardin et observer l'épais ruisselet qui colorait d'indigo la marmoréenne blancheur de la neige."
Zoé Valdès. L'éternité de l'instant. Ed. Gallimard.

Plus tard arrivent les amoureux. Ils font s'envoler quelques bulles de savon dans le vent avant l'heure de la sieste.

Et, parce que ce sont les cigales qui s'en chargent, la bande son est un peu monotone.

A 16H30, ma bouteille d'eau est presque finie. C'est l'heure de partir.

21.8.07

Tuesday self portrait


"Qu'est-ce que l'amour ? Je l'ignore. Alors je continue à prendre des photos.
Il m'arrive de désirer qu'on m'aime. Le désir m'envahit lorsque, face à mon objectif, mes sujets, eux, m'apparaissent comme entourés du halo d'un bonheur que je n'ai pas. A quelle époque ai-je commencé à penser que l'amour me manquait ? Depuis quand suis-je persuadée que l'amour est quelque chose de triste ? Que l'amour a la couleur d'un ciel hivernal ?
J'ai décidé de me lancer dans l'autoportrait. J'ai voulu tenter de me saisir telle que je suis en espérant que je comprendrais peut-être à travers les clichés les raisons de mon manque d'amour.
Je suis sortie dans la ville. C'est là que je voulais me photographier. Il m'importait soudain de savoir comment les autres me voyaient.

Moi, dans l'agitation de la foule.
Moi, en train de demander mon chemin à quelqu'un.
Moi, dans l'attente qu'on m'adresse la parole.
Moi, qui passe devant les vitrines.
Moi, devant un feu rouge, en train d'attendre qu'il vire au vert.

Moi l'esprit absent, sur un banc de la grande avenue.
Moi, désirant être aimée.
Moi, dans une cabine téléphonique.
Moi, moi, moi... J'ai glissé mon appareil photo dans divers interstices de la ville. Puis je me suis mise devant en calculant le moment où le système automatique allait se déclencher. Je voulais savoir comment je me reflétais dans le regard des autres."
Hitonari Tsuji. Objectif.

20.8.07

Les couleurs de ma vie




Cette crème aux agrumes est encore une recette magique de la fée Clochette. De l'eau, du concentré de jus d'agrume et de l'agar agar... et une pincée de sucre... Comment si peu d'ingrédients peuvent donner un dessert aussi fondant, acidulé et tellement rafraîchissant en cet été brûlant ???

19.8.07

Un endroit où je pourrais revenir

"J'ai demandé :
-Tu es en voyage ?
Sans répondre directement à ma question, le jeune homme a dit :
-Moi, je suis toujours à la recherche d'un endroit où je pourrais revenir. Tu pourrais être cet endroit, toi ?
Abasourdie, je l'ai fixé. Je me voyais en reflet dans ses pupilles noires comme dans un objectif fish-eye. Cette phrase-là, moi aussi je la disais à tous ceux que je rencontrais.
-Je suis à la recherche d'un endroit où je pourrais revenir.
J'ai eu la bizarre impression que le jeune homme dont le nom m'était inconnu était devenu une partie de moi-même.
Cette fois je lui ai demandé :
-Et toi, tu voudrais être l'endroit où je pourrais revenir ?
Il a pouffé de rire et s'est gratté la tête.
Pourquoi les gens partent-ils en voyage ? Pour oublier la réalité ? Ou bien aller à sa rencontre ? Pour combler la part de réalité qui leur manque ? Ou, peut-être, pour se souvenir de l'endroit d'où ils sont partis ?"
Hitonari Tsuji. Objectif.

Il y a des photos qu'on ne montre jamais. Parce qu'elles sont floues. Parce que personne n'y verrait le moindre intérêt. Des photos qui, si elles étaient tirées par la Fnac, seraient barrées par l'autocollant "non facturé".
Et pourtant, ces photos nous sont parfois infiniment plus précieuses que celles qui suscitent les compliments. Ce sont des photos pleines d'un instant qu'on sait, alors même qu'on est en train de le vivre, qu'il sera coulé à jamais dans la matière mouvante de notre mémoire. Des photos emplies de "l'endroit où on pourrait revenir". Des photos qu'on connait par coeur mais qu'il serait dramatique de perdre. Des photos dont on ne se lasse pas.

18.8.07

Effets secondaires

Le Japon a parfois de drôles d'effets sur les gens.

Tenez, prenez cette fille, par exemple, à gauche sur la photo. Eh bien, en temps normal, elle est plutôt désespérante : du genre à venir à bout à Pâques d'une boîte de chocolats qu'on lui aurait offerte à Noël.

Or, elle aime le chocolat ! C'est juste qu'elle n'est pas gourmande.

Et voilà que cette même fille, au Japon, veut goûter à tout, hésite devant la carte des desserts, se sent mal si elle n'a pas mangé au moins une glace dans la journée !


Ce qui m'étonne moins d'elle, en revanche, c'est qu'elle dévore les Chroniques de l'oiseau à ressort de Murakami, partout et dès qu'elle peut... Y compris en faisant la queue aux toilettes !

(Cat, je crois qu'il va falloir faire une croix sur le cheese cake dans l'avion !!!!)