11.1.08

La tasse de Mme Ota

"Une nuance de rouge à peine perceptible se jouait dans le blanc écru de la matière. A contempler cette pièce un moment, on eût cru voir le rouge monter, comme par transparence, dans le blanc. Le bord même de la tasse se teintait légèrement d'ocre rosé, plus foncé en un point.
Etait-ce l'endroit où se posaient les lèvres pour boire ?
Le thé avait pu laisser cette marque à peine visible, mais peut-être aussi le rouge des lèvres féminines tant de fois et tant de fois posées là.
A y bien regarder, on pouvait retrouver une nuance de rouge au fond de la teinte ocrée. Etait-ce donc le rouge à lèvres de Mme Ota qui avait, à force, fini par s'imprégner dans le grain même de la céramique ?
Ce fugitif et subtil mélange des tons bruns et rouges, on le retrouvait jusque dans les fines craquelures en résille de la surface, pour peu qu'on y fît attention.
Teinte fanée du rouge à lèvres, tel un pétale flétri de la rose, brunissant tel le sang séché, se disait Kikuji avec une émotion étrange qui lui faisait battre le coeur. Dans le même moment, une sorte de dégoût, un écoeurement malsain le soulevait, qui allait jusqu'à la nausée, cependant qu'une espèce de tentation l'attirait irrésistiblement et lui laissait la tête vide, presque jusqu'au vertige."
Kawabata. Nuée d'oiseaux blancs.

Les romans de Kawabata sont peuplés d'hommes sensibles et attirants qui, à force de ne pas savoir choisir, ne pas savoir décider, passent imperceptiblement à côté de leur vie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Après avoir lu Kawabata, comment oublier le poids de la cruche de shino ; et cette nuée d'oiseaux blancs, sur un foulard ?

Pays de Neige.

Gwen a dit…

Un commentaire de Pays de Neige sur un billet de Kawabata...
Evidemment !