30.6.08

Loin d'Orléans

"Sa 27.7.1991
Levé à cinq heures. C'est à peine si le jour point. C'est presque devenu une habitude que d'ouvrir les yeux aux Bordes, à la fin de la nuit, dans la paix profonde de la campagne, avec le perspective d'une journée de libre invention, de rêverie matérielle active, exécutive. Rien, nul souci pour faire obstacle à ma pente naturelle. Tout au besoin de faire des choses tangibles, de leur transférer l'élémentaire sentiment d'exister qu'elles me retournent dûment lesté des qualités qui me sont étrangères, la permanence, l'indifférence à l'inquiétude, à la douleur, au temps qui passe."
Pierre Bergounioux. Carnet de notes 1991-2000

Délaissant Tokyo, oubliant mon quotidien, je m'immerge dans celui de Pierre Bergounioux, à travers son Carnet de notes.
Je redoute ma propre routine mais me laisse bercer par la sienne.

Dans son année 1991, je retrouve des bribes de la mienne : nous passons, lui et moi, par la porte d'Italie quand nous allons à Paris. Son frère est mon prof de linguistique à la fac. Avec Pierre Michon et François Bon, il participe à une lecture aux Temps Modernes où j'achète mes livres.

Catherine Martin était ma libraire, j'ai toujours admiré sa classe, ses partis pris, sa ténacité.
Plus tard, alors que je vivais loin d'Orléans, je suis retournée aux Temps Modernes.
Et la phrase de Catherine et son sourire confiant m'accompagnent encore maintenant, maintenant que je vis encore plus loin d'Orléans.


"C'est bien de savoir claquer des portes quand on ne sait pas ce qu'il y a derrière : après, tout est à inventer et c'est passionnant".

29.6.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (1)

Quelle que soit la photo choisie, quels que soient les mots écrits, ce rituel social et estival qu'est la carte postale ne contient toujours qu'un seul et même message : je pense à vous, je pense à toi.

Partant de ce principe là, j'ai acheté, une certaine année, de jolies vues un peu usées parmi celles dont regorgent les rayons d'Emmaüs. Et nous avons recopié, sur leur dos, des textes de Georges Perec, issus de Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables. Ces textes n'avaient rien à voir avec nos vacances mais nous ont permis de dire, comme avec nos propres mots : je pense à vous, je pense à toi.

Relisant ces cartes dans L'infra-ordinaire, je me souviens de cet été-là et de nos quelques jours de vacances à la montagne.
Et, pour célébrer le premier week-end de congé des juilletistes Français qui fait écho à un dimanche de pluie-sans-discontinuer ici, j'inaugure une petite série d'été et vous envoie une première carte postale en couleurs véritables afin de dire, avec les mots de Georges Perec : je pense à vous, je pense à toi.
Vacances à Narbonne. Calme divin, cassoulet maison. Un peu de pétanque pour garder la ligne. Baisers.

28.6.08

L'heure fragile (et son antidote)


Quel que soit le goût de la journée (entrain ou abandon), il est une heure un peu fragile : celle où le jour commence à décliner, où la ville se teinte de mélancolie et où, surtout le vendredi soir, je sens mon coeur trembler.

Pour lutter contre la nostalgie et les sentiments mêlés qui peuvent plomber le début d'une soirée, il existe un remède.

Une fenêtre ouverte sur la rue tranquille, le parfum des muffins dans le four, une musique contemporaine et douce, une lumière tamisée et une pile de livres posée à côté de la robe carmin du cépage.

Et, sur le mode des "bords de pages" de Pays de Neige :

L'infra-ordinaire de Georges Perec.
Carnet de notes 1991-2000 de Pierre Bergounioux.
A l'abri de rien de Olivier Adam.
Monsieur Paul de Henri Calet.
La vie matérielle de Marguerite Duras.
Le magazine littéraire : dossier Julien Gracq.
Avec mon meilleur souvenir lu par Françoise Sagan.
Le ravissement de la parole de Marguerite Duras.
Lecture de Nathalie Sarraute.
La naissance de l'amour et Sauvage innocence : deux films de Philippe Garrel.

27.6.08

Les tueurs de temps

"Dans ses Nuits de Paris, Restif de La Bretonne invective cette engeance d'inactifs, apparemment plus nombreuse à son époque qu'à la nôtre et qu'il nomme les "tueurs de temps". Il décrit longuement ce qu'il considère comme leur déchéance et leur prescrit le travail en tant que roboratif, en tant qu'antidote à ce qu'il croit être leur mal de vivre.
Restif aurait-il réagi comme il le fait, lui, le "flâneur des deux rives", s'il avait jamais pu prévoir ce que signifierait un jour l'industrialisation à outrance, la standardisation et l'uniformisation du travail, des moeurs et des consciences ?
Et qui donc à son époque aurait pu prévoir que cette fameuse Révolution française aurait pour effet ultérieur de renforcer les valeurs qu'il avait voulu combattre ? Qui donc aurait prédit la réapparition des souffrances rédemptrices chères à la chrétienté sous la forme du Travail élevé au rang de dogme intangible ? que ce travail lui-même, accéléré et propagé, point du tout diminué par les machines, connaîtrait une telle expansion, une telle vitesse incontrôlée, qu'il en deviendrait stérile, voire dangereux pour l'humanité ? que cette sur-productivité développerait une agitation tellement privée de sens qu'une majorité d'hommes ne feraient plus, sous prétexte de travailler, que de sacrifier la plupart des heures de leur vie à un ennui annihilant et en échange de biens matériels de plus en plus douteux ? que la consommation de ces biens matériels surmultipliés deviendrait elle-même une sorte de travail quasi obligatoire ? qu'enfin donc, la résistance consciente ou inconsciente à cet engrenage commencerait à devenir presque héroïque, ascétique. Ce seraient justement, par un extraordinaire renversement, les honnêtes travailleurs qui se transformeraient à leur insu en "tueurs de temps"?...
Denis Grozdanovitch. Petit traité de désinvolture.

J'ai pensé à Albert Cossery. Cossery, le chantre de la vie paresseuse et immatérielle qui disait qu'écrire une phrase par semaine, c'était déjà beaucoup. Cossery qui, à la question "pourquoi écrivez-vous ?" répondait : « Pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain »...

26.6.08

C'est jeudi !


J'ai arrêté le tricot à l'âge de 18 ans, je ne me suis jamais mise à la couture mais, le jeudi, je brode ICI quelques mots pour Madame Gâ.

25.6.08

Sunshine


Certains jours, y compris en plein milieu de la saison des pluies, ce quartier rectiligne d'Ikebukuro porte bien son nom : c'est à Sunshine que j'ouvre le colis que Chantal m'a envoyé.

Thés, gourmandises... Et le parfum des herbes de provence qui me donne des envies de légumes rôtis, de poissons en papillotes et de déjeuners dans l'herbe...

Pendant que le soleil poursuit sa course, j'arrête la mienne le temps d'assouvir mes penchants boulimiques et de dévorer les deux nouveaux exquis d'écrivains : Saga italienne de Alain Absire et Régals du Japon et d'ailleurs de Dominique Sylvain.

Et je quitte Ikebukuro avec l'impression d'avoir partagé un repas aux saveurs du monde entier avec mon amie gourmande, voyageuse et si généreuse. 

24.6.08

Tuesday self portrait (decision time)


"Mais qui es-tu ? Tu es la somme de tes souvenirs et tu ne le sais pas car tu ne t'es jamais regardé avec les yeux de la mémoire. Maintenant tu le fais : oui tu vois que tu es un ensemble de remembrances : il y a celles qui se rapportent à ce qui a été et celles qui se rapportent à ce que tu seras dans le futur et qui apparaissent là comme venues du passé. Cela est tout ce que tu es : un agrégat de mots et d'instincts vécus. C'est beaucoup d'informations.
Et tu voudrais savoir ce que tu deviendrais, ce qui resterait de toi si tu parvenais à effacer ces mots et ces instants comme on le fait sur une bande magnétique. Absent à toi-même, deviendrais-tu invisible et dur comme une vitre ? Arriverais-tu à atteindre un état totalement nouveau ?"
Bruno Gibert. Réussir sa vie.

23.6.08

Lélé-le-lion


A une époque, tous les chats de mes parents s'appelaient Mimis. Et avaient le point commun de disparaître avant de vieillir.
Je ne sais pas si, cette fois, cet animal voudra bien rester chez moi ou si Lélé-le-lion deviendra aussi un terme générique. Y compris pour désigner les tigres fugueurs.

22.6.08

Un dimanche avant la pluie*

N'ayant pas le sens de la fatalité, ni celui des signes, je ne pense pas  "ça commence mal" quand je renverse l'intégralité de mon gobelet de lait de soja sur la moquette, mes chaussures et mon pantalon.
Non. Je me contente de rester un moment les bras ballants avant d'aller prévenir une serveuse de mon désastre.
J'aurais bien tort, d'ailleurs, de me dire cela puisque la jeune fille, en même temps qu'avec une serpillère, vient avec un duplicata de ma boisson.
Et puis, à cause du risque de pluie, je n'ai pas mis mes tennis neuves, c'est le cuir de mes vieilles Doc' qui boit tout le lait.
Alors non, décidément, ce dimanche ne commence pas mal.

La saison des pluies est celle du gris, de l'ardoise mais aussi celle des hortensias et, enfilant des manches qui me protègent de la clim', j'ai l'impression d'être au diapason du temps qu'il fait. J'aime ces couleurs un peu éteintes, un peu nostalgiques.

Omotesando s'éveille à 11H.
Aux lecteurs de journaux, matinaux et immobiles, succèdent des couples d'amoureux silencieux ou des bribes de familles.
Que faut-il savoir de leur mère afin de mieux comprendre ces deux enfants américains -un garçon, une fille- enfoncés dans le canapé et riant avec leur père ? J'aime l'imaginer rester lire et manger des tartines à la marmelade d'orange dans son lit, tous les dimanches matins, pendant que le père -absent toute la semaine- rappelle son existence à ses enfants.
Dehors, le ciel est trop menaçant pour que les serveuses du farmer's table café déplient le parasol. Elles discutent en souriant avec quelqu'un dans la cour. Quand l'une d'elle s'accroupit et tend la main, je m'aperçois que c'est avec un chat.
De l'autre côté de la rue, la boutique "A mon avis" a exposé, dans sa vitrine, des bottes en caoutchouc à côté de l'affiche des Parapluies de Cherbourg.
J'achève la lecture de mon livre.

"C'est ça. C'est aussi simple que ça : il y avait le passé, il y a le présent, il y aura après. Rien que le futur simple, c'est déjà un chouette indicatif. Je trouve.
Je l'ai dit à la maîtresse. Je lui ai dit, Tu sais, je préfère le futur comme indicatif. Elle a dit, Si tu veux. Elle dit aussi, Fais quand même attention à la conjugaison. La concordance des temps.
J'essaierai de faire accorder, je lui dis. J'ai compris que ça se marie, tout ça. J'aime la conjugaison."
Jean-Noël Blanc. Fil de fer, la vie.

Ensuite, c'est l'heure de rentrer, pour d'autres ambiances, d'autres musiques.

*"Il y a dans ces dimanches qui se consument quelque chose de mélancolique mais jamais triste, une rêverie." Macha Makeïeff

21.6.08

Un samedi de pluie (entre autres)


Autant le camembert est classé au patrimoine national en France, autant les quatre saisons pourraient l'être ici car les Japonais en sont aussi fiers que s'ils en détenaient l'exclusivité mondiale ! 
Quand je leur fais remarquer qu'il y a, pourtant, cinq saisons au Japon, ils me regardent interloqués avant de sourire en secouant la tête sur le mode "ah quelle bonne blague !"
... Or... Elle existe bien, cette saison des pluies, qui nous fait vivre en manches courtes et les pieds mouillés la lumière atone d'une Toussaint française...

20.6.08

Choses lues

De ces heures dans les cafés, il me reste des lignes tracées en bleu, des musiques, des tasses de thé, des lumières changeantes par la fenêtre et des pages lues.

"Les formulaires que j'ai remplis depuis 30 ans dessinent-ils une image de moi plus précise que mes propres souvenirs ?"
Entretien avec Thierry Rousselin. Le Monde 2. 12 avril 2008 ("Peut-on encore disparaître ?")

"A Paris, Michel parle de précarité, de sécurité. Tu dis à Michel, non, ce n'est pas la précarité : quand on s'aime, il n'y a pas de précarité. L'avenir est juste indécis, c'est tout. L'avenir n'est qu'une tête d'épingle. Quand on aime, l'avenir existe à peine tellement il est tout le temps question de présent. Chaque jour apporte son lot."
Bruno Gibert. Réussir sa vie.

"-M'sieur, c'est quoi le prénom dans la phrase ?
-Jacqueline.
-C'est trop bizarre.
-C'est Jacques pour une femme.
-On peut changer ?
-Tu mets c'que tu veux.
Il a replongé dans sa prise de notes.
-Tu comptes mettre quoi ?
-Jean.
-Oui mais Jean pour une femme de chirurgien, ça va pas le faire.
Son front s'est crispé.
-Jane ça existe ?
-Oui oui.
Un soir d'hiver, un ouvrier quinquagénaire a croisé dans la rue du Faubourg St Antoine, à dix-sept heures trente, une femme de chirurgien prénommée Jane."
François Bégaudeau. Entre les murs.

"De toute façon, Dieu est aujourd'hui identifié. On sait qu'il s'agit d'une hormone. Les sentiments célestes et de religiosité proviennent d'une hormone fabriquée par la glande pinéale, l'épiphyse, située au-dessus de la nuque. Ce qui est curieux à ce propos, c'est que la constitution moléculaire de cette hormone se rapproche beaucoup de celle de la margarine. On peut dire à peu de choses près que Dieu, c'est de la margarine. C'est une découverte qui commence à éclairer d'une lumière nouvelle certains passages des évangiles. On commence à supposer par exemple que Jésus et les apôtres étaient sous la dépendance d'une drogue tunisienne favorisant la fabrication de cette hormone divine... D'ailleurs, le petit Jésus en est mort. Ce qu'on ne sait pas, c'est que le Christ est mort deux fois : une première fois d'une embolie pulmonaire en Galilée, puis il est ressuscité et mort une seconde fois à l'âge de 44 ans."
Entretien avec Pierre La Police. Les Inrockuptibles. Eté 1993.

Et puis...
Et puis au passage à niveau de Shimokitazawa, cette phrase lue, tatouée sur son bras : "Ce qui me nourrit me détruit" , que je n'oublie pas.

19.6.08

C'est jeudi !


Et, le jeudi, c'est ICI que j'adresse quelques avis définitifs à Madame Gâ.

18.6.08

On dirait le nord


Si j'avais davantage voyagé, peut-être y verrais-je d'autres ressemblances.
Mais c'est souvent que Tokyo me rappelle la Belgique.
Et je ne sais jamais vraiment dire pourquoi.
Gainsbourg (qui n'est pourtant, lui, pas une de mes références) me soufflerait à l'oreille : "la nostalgie, camarade, la nostalgie."

17.6.08

Tuesday self portrait


Je n'avais pas encore pensé à poser l'appareil photo dans le panier d'un vélo...

16.6.08

La vie avant les rêves


Il y a ce moment délicieux, quand on se couche, qu'on est bien dans son lit, content de sentir tout son corps allongé, détendu. De, parfois, entendre la pluie au-dehors ou le vent et se savoir bien à l'abri. Ou d'entendre des gens marcher dans la rue et se dire que nous, on est déjà rentré, on est déjà bordé alors qu'ils doivent encore prendre le train.
Ce moment délicieux où le sommeil nous envahit, peu à peu.
Ce moment-là, je ne le vis pas.
Avant même de changer de matelas, alors que tous les ressorts de l'ancien s'enfonçaient dans mes côtes, je ne le vivais pas.
A l'instant où je ferme les yeux, je dors.
Il en est de même dans l'Odakyu.

Mais, ce soir, debout dans le rapid'express qui me ramène à Tokyo, je fais l'effort de ne pas fermer les yeux, de ne pas m'endormir. Afin que mon voyage ne sombre pas complètement dans l'oubli.
Dans la jolie lumière du soleil de la fin d'après-midi, je vois les enfants dans les squares, les promenades des petits chiens, les paysages qui se reflètent dans le miroir des rizières, les lycéens en uniforme qui mangent une glace devant le combini, les jeunes filles pieds nus au milieu de la rivière, les forêts de bambous, les montagnes qui s'éloignent, les barques sur l'eau, les rues piétonnes qui débouchent sur la gare, les appartements désertés pour la journée dans lesquels se glisse un rayon de soleil, le linge qui sèche sur les toits, les hommes en cravate qui fument une cigarette dans l'escalier.

A la fin du voyage, il y a Shinjuku et nous sommes des milliers dans la gare.
Tant de vies croisées en une journée.
En dresser ici l'inventaire, à défaut de pouvoir le faire avant de m'endormir...

15.6.08

Jaune Verdier

Vous arrive-t-il, à vous aussi, que l'on demande comment vous choisissez vos lectures ?
J'ai posté, hier, une liste de titres dont j'aimerais qu'ils alourdissent la valise de ma soeur, dans un mois.

Ici, pour choisir mes lectures, il me manque les rayons et les tables d'une librairie.
Il me manque d'être attirée par une couverture, par un incipit, par la densité des pages que je feuillette, par quelques mots picorés ça et là.
Les librairies (et tout ce qui s'ensuit : les amis qu'on y croise, les auteurs qu'on y rencontre, les lectures auxquelles on y assiste, les libraires qu'on y connaît, les heures tranquilles qu'on y passe) me manquent plus que je ne saurais le dire.

Au début des années 90, je m'approvisionnais au Livre, à Tours.
Parfois conseillée par Laurent. Parfois en fonction de la couleur de la couverture sans jamais avoir à le regretter.
C'est ainsi que j'ai lu L'enterrement de François Bon, attirée par le jaune des éditions Verdier.

Ce jour-là était bleu et j'étais toute entière dans l'émerveillement du premier matin en France.
Sur la place du Martroi, il y avait quelques tables de bouquinistes. 1 euro La vie mode d'emploi qui, ici, me faisait défaut.
Car il y a aussi ce plaisir-là : celui des livres d'occasion, se laisser surprendre à bas prix, acquérir les mots d'un(e) parfait(e) inconnu(e) sans être particulièrement fortuné.
4 euros le Précis de médecine imaginaire d'Emmanuel Venet. Entamé ce matin sur le balcon, achevé dans l'herbe du botanique... Je n'ai, une fois de plus, pas regretté d'avoir fait confiance au jaune Verdier.

"La rumeur attribue au neurochirurgien Pierre Wertheimer cette phrase, qu'il aurait prononcée à la fin de sa carrière : "J'ai opéré beaucoup de cerveaux, je n'y ai jamais trouvé l'âme." Avec son parfum anticlérical et positiviste, ce propos sonne assez radsoc pour qu'on l'ait pardonné à son auteur. Mais l'âme du vingtième siècle, la Seele de Freud, désigne le psychisme : on pourrait en vouloir à Wertheimer d'avoir alimenté la confusion entre l'organe et sa fonction. Imagine-t-on un facteur de pianos affirmer qu'il a désossé beaucoup d'instruments et qu'il n'y a jamais trouvé de sonate ?"
Emmanuel Venet.

14.6.08

3 morts, 65 blessés, 12 disparus

Si ce pigeon choisit décidément la balustrade de ma fenêtre pour y roucouler dès l'aube, je n'ai plus aucune chance de me rendormir après 5H30.
Mais, après tout, cette heure n'est-elle pas idéale pour me lever ?
Elle me permet, en tout cas, de prendre des nouvelles du monde avant de mettre l'eau à chauffer et d'être sur mon balcon à 7H, en même temps qu'y apparaissent les premiers rayons du soleil, pour le petit déjeuner.
Et, quoi qu'il se passe dans le reste de ma journée, ce moment privilégié me donne toujours l'illusion d'être en vacances.
Ce matin, j'achevais la lecture du dernier recueil de nouvelles de Enrique Vila-Matas lorsque le thé s'est agité dans ma tasse. C'était inédit d'être sur mon balcon à l'heure d'un tremblement de terre.
Les fils électriques se balançaient mollement et j'ai regardé tranquillement ce spectacle comme depuis le pont d'un bateau.
Je ne parviens pas à m'inquiéter.
C'est seulement ce soir que je me suis renseignée.
"7,2 sur l'échelle de Richter à 500 km de Tokyo. L'un des plus violents séismes de ces dernières années dans l'archipel."
Ah oui... Tout de même !

"Je porte un pantalon couleur magenta, des souliers de cuir cerise et un vêtement de sport qui ressemble à un fin pyjama bleu. Je ne suis pas très élégant parce que je suis américain, que, sincèrement, il fait aujourd'hui très chaud et que je ne suis pas en veine de mettre une tenue de soirée. Je viens d'avoir trente ans et, peut-être parce que je n'ai encore jamais vu la neige, j'en ai légèrement et étrangement la nostalgie. Il me semble parfois que des gouttes de pluie glissent en tremblant sur les cellules de mon cerveau qui est au moins aussi funèbre que le tissu mort dans lequel évoluent toutes les familles de Malibu : toutes enterrées vivantes dans des cercueils de fer qui se reposent au soleil des plages du Pacifique où un simple bloody mary me transporte pour quelques secondes -comme maintenant- au paradis."
Enrique Vila-Matas. Explorateurs de l'abîme.

13.6.08

Différents


Ce ne sont pas seulement la couleur de la peau et la forme des yeux qui nous distinguent.
Mais, également, cette capacité d'abstraction que je connais par coeur et qui, pourtant, continue à me surprendre.
Cette habitude de vivre les rideaux tirés sous la lumière des néons.
Ou, un jour de soleil, cette volonté de s'installer dans le coin le plus sombre du café. De préférence face à un mur.

12.6.08

C'est jeudi !


Avant de choisir sa boîte aux lettres, il faut choisir sa maison !
Il en est question ICI dans mon hebdomadaire lettre écrite à Madame Gâ.

11.6.08

"La vie n'est pas un bol de fraises, ma chérie"


J'aurais certainement moins confiance en l'avenir si on avait bercé ma jeunesse de ce refrain.
Heureusement, mes grand-mères ne disaient pas ça, elles.
Alors oui, j'y crois, moi, aux lendemains qui dansent sur le sable d'Odaiba, aux matins radieux traversés à vélo, aux repas ordinaires que la jolie vaisselle rend festifs, aux samedis de pluie sur fond de piano...

On ne m'a appris ni la fatalité, ni la résignation... Et je crois que ce ne sont pas des lacunes.

10.6.08

Tuesday self portrait (un jour mon prince -re-viendra)


"Oh, aller et venir en liberté, manger du saucisson et des millefeuilles, lire le journal, porter des sandales rouges, se coucher tard, se promener sans Mademoiselle. Décider du temps, des lieux, de soi -avoir la main. Et lire, bien sûr, lire à table, au lit, toute la nuit, toute la vie, lire. Mais en aurait-elle encore le désir si elle vivait dans le château de Dame Tartine, fille de prince, parée de toutes les grâces et comblée de plaisirs ? La Belle a des lectures, elles lui sont nécessaires tant les journées lui semblent longues jusqu'aux visites de la Bête -mais ensuite, une fois la Bête transformée en Prince, on peut imaginer, n'est-ce pas, qu'elle pose son livre."
Marianne Alphant. Petite nuit.

9.6.08

Le mois des bougies

Juin est un mois anniversaire.
Un an que. Deux ans que.
Jamais je n'oublierai.

Sans compter toutes ces dates entourées sur mon calendrier et ces noms amis accompagnés d'un âge.
Des enfants continuent à naître en juin. Elle s'appelle Juliette, il s'appelle Isaac... Des vies qui commencent.

Elle, elle a déjà quelques mois mais elle est encore à l'âge où tout est une première fois.
Prendre l'avion. Entendre les bruits, sentir les odeurs, goûter les saveurs de ce pays qui est la moitié de son identité.
Lors du premier mois de juin de sa vie, elle aura traversé la Sibérie. Ce n'est pas rien.
Ces événements émouvants que les bébés vivent sans mémoire.
Ces événements dont on pourrait faire des anniversaires.

8.6.08

Un thé à Sugamo


Je sais que ce dimanche ne s'achèvera pas sans pluie et l'air est déjà chargé d'humidité. Je sors marcher.

A 5H30, la ville est calme mais je ne suis pas seule dans les rues de Komagome.

Je sais me tromper si je pense que la vie a déjà commencé puisque, en vérité, elle ne fait que continuer, elle ne s'arrête jamais.

Une heure plus tard, c'est à Sugamo, dans les effluves d'encens et les sons mats -tambours et cloche- de la cérémonie au temple que je débouche mon thermos.

Je rentre pour le petit déjeuner. Il est 7H30. La journée est toute entière devant moi. Les riches heures du dimanche.

7.6.08

Sur le balcon


"Quand je suis revenu, Anna était sur la terrasse, dans le rocking-chair. Elle portait le tee-shirt à carreaux que je lui avais offert pour son anniversaire et des tongs à fleurs. Le soleil rasant du soir. Une couverture sur les jambes. Elle lisait.
Les filles n'étaient pas là. Du moins pas dans le jardin. Peut-être dans leur chambre.
Anna n'a pas bougé.
Elle a juste dit, Qui est cette femme que tu vois ?
-Cette femme...
-Je ne veux pas connaître son nom. Simplement ce qu'elle t'apporte et que moi je ne t'apporte pas.
Elle a attendu.
Je crois qu'elle a fermé les yeux. Le doigt glissé entre deux pages. Sans doute elle voulait reprendre sa lecture une fois que je lui aurais donné une réponse. Mais qu'est-ce que je pouvais répondre ?
Cette histoire me hantait. Je regardais Anna. Je pensais à là-bas. Les mots d'Alice. Sa voix. Même en jouant avec les filles, parfois. Ca n'avait rien à voir avec elle. Ni contre elle. C'était moi, moi seulement.
Je n'avais pas de réponse.
Même pas l'ébauche.
-J'ai besoin d'aller là-bas...
Anna a lâché le livre. Elle s'est levée, elle est entrée dans la maison.
Je suis resté. Sans bouger. Les yeux fixés sur les tongs à fleurs d'Anna.
Et puis sur le livre fermé. La page perdue. "
Claudie Gallay. Dans l'or du temps.

Mon marque-page du moment est une carte. Elle porte la marque de l'agrafe qui la maintenait au paquet cadeau.
Sur le recto, des couleurs vives, le nom de la boutique : "mi amor" et le slogan "bijoux amour et fantaisie".
Au verso, l'adresse : rue du Pont Louis-Philippe, Paris.
Quand je me lève pour refaire chauffer de l'eau, je la glisse entre deux pages.

6.6.08

A pied


Il y avait de jolies couleurs dans les rues de Shinjuku, ce matin.
Emprunter ces ruelles, c'était me souvenir du temps où je les connaissais par coeur.
J'ai changé de quartier et d'itinéraires. Mais je reste attachée à ces maisons en tôle, à ces façades improbables, à ces plantes en pot -ces fleurs dont le nom appartenait à mon enfance : gueules de loup, digitales...- dont je surveillais la croissance.
J'ai envie d'en faire une habitude : laisser mon vélo chez elle, marcher en désordre, sourire au serveur qui prépare le thé à emporter, fouler la pelouse jusqu'au plan d'eau et hausser la voix pour concurrencer les corbeaux.
La prochaine fois, le gâteau à la banane sortira de mon four.

5.6.08

C'est jeudi !


Dans les boîtes aux lettres d'Omotesando ou AILLEURS, au soleil ou sous la pluie, à midi ou à minuit, je poste une carte postale à Madame Gâ tous les jeudis.

4.6.08

Une histoire sans fin

Tant qu'il nous reste du pain, on se ressert en fromage. Et pour terminer notre verre de vin, on reprend un peu de pain. Mais comme on ne mange pas de pain sans fromage, et qu'on préfère le fromage accompagné de vin...
Ce moment du repas peut durer des heures. Et, parfois, c'est le meilleur.

Je trouve une caisse dans la rue qui peut me servir de bibliothèque. Il faut bien que j'achète des livres pour les y ranger. Mais il m'en reste quelques uns. Alors il me faut une autre caisse. Et, entre temps, après un détour chez un bouquiniste, je rentre avec quelques volumes... etc.

Vient ensuite le moment de déboucher la bouteille, de laisser respirer le vin et de parler des livres de la bibliothèque.

Derniers achats au Book Off de Shirokanedai : Kyoto de Kawabata.
Et Serpents et piercings de Hitomi Kanehara :

"La bière descendait aisément et le boeuf était délicieux. C'a vraiment été un dîner parfait. Un truc vraiment étrange. Je veux dire, je suis la première à pester contre le travail, mais dès qu'on a fini de bosser, la bière a nettement meilleur goût. Je crois qu'elle m'a mise de bonne humeur car j'ai complimenté Ama sur la nouvelle couleur de ses cheveux et ses blagues idiotes m'ont fait rire aux larmes. J'ai eu l'impression que tout allait bien. Que rien ne pouvait aller de travers."

3.6.08

Tuesday self portrait

J'ai poussé la table devant la fenêtre. J'ai installé la théière à côté, sur un tabouret. Cutter, règle, colle... Indispensables ustensiles pour découper les carnets de polas.
Et comme je me suis abonnée à son podcast, c'est Dominique A qui s'est occupé de la programmation musicale et il fait ça très bien.
Ensuite, je suis partie et il n'y a plus eu de fenêtre dans ma journée.

Mais la voix de Mendelson en boucle : "On peut fermer les yeux mais le monde, le monde, le monde est toujours là. C'est pas grave, ça ira. Mets ta tête contre ma tête et nous deux, ça ira."
(et la chanson en bonus track sur la radio du coeur)

2.6.08

Vert pluie

A force de ricaner devant les photos envoyées par les lecteurs, je n'ai jamais été fichue de me souvenir des vraies informations que contiennent les revues techniques.
Heureusement, E., lui, les lit, les retient... Et me les transmet !
C'est donc lui qui m'a appris que les pellicules Fuji sont plus sensibles que d'autres au vert (mais sont, du coup, plus faiblardes pour les bleus).

On va, certes, se lasser du gris que charrie la saison des pluies.
Mais lorsqu'une accalmie nous laisse profiter de tous les dégradés de verts que contient la ville, c'est à peine si on regrette les trois jours d'averses qui l'ont précédée.

Moi, en tout cas, je n'ai pas regretté, hier, que mon appareil soit un Fuji car mes instantanés (que je persiste malgré tout à appeler des polas) étaient tous de magnifiques tableaux.

A côté de ça, prendre des photos numériques manquait singulièrement de charme.