31.8.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (10)


Je ne sais pas vous mais moi, dans ma boîte aux lettres, j'ai trouvé des nouvelles sportives

et un inventaire très juste de ma vie estivale !

(Sans compter une lettre aux stickers fantaisistes. Sans compter une chronique du sable, des notes de plage que j'espère un jour recevoir)
Si vous n'avez pas la chance d'avoir un neveu et une nièce pleins d'humour, des amis qui ne vous oublient pas, un(e) amoureux(se) qui aime l'encre et le papier... Je vous adresse une carte postale de Georges Perec. Ca ne console pas mais c'est toujours ça.

On arpente l'Oregon. Sites admirables. Nourritures de trappeurs. Les Amerloques sont des gens au poil. Baisers.

30.8.08

Avec Nadja

C'est pendant que la pluie me contraignait aux paysages urbains vus par les fenêtres des trains et transformait mon vélo en épave rouillée que me sont venues ces envies de lectures déambulatoires françaises.

Il y a eu Nadja dans quelques conversations, Nadja et les errances amoureuses dans Paris, Nadja glissé dans le bagage de Clémence.

Il y a eu Georges Perec et ses trois jours immobiles place St Sulpice :

"plusieurs dizaines, plusieurs centaines d'actions simultanées, de micro-événements dont chacun implique des postures, des actes moteurs, des dépenses d'énergie spécifiques :
discussions à deux, discussions à trois, discussions à plusieurs : le mouvement des lèvres, les gestes, les mimiques expressives
(...)
degrés de détermination ou de motivation : attendre, flâner, traîner, errer, aller, courir vers, se précipiter (vers un taxi libre, par exemple), chercher, musarder, hésiter, marcher d'un pas décidé"
Georges Perec. Tentative d'épuisement d'un lieu parisien.

Il y a eu Thomas Clerc qui, lui, a choisi de l'arpenter pour décrire le dixième arrondissement de Paris :

"en réalité, la rue Taylor ne réfère pas au promoteur du travail à la chaîne, mais à un obscur protecteur des arts et lettres, occulté par son homonyme. Ainsi le nom propre Taylor recouvre-t-il 2 personnages dont l'action fut exactement inverse : l'un est mécène d'artistes qui leur permit de développer des plages de temps nécessaires à leurs tâches, l'autre est un industriel féroce qui combattit l'oisiveté par la mise en travail de toute la population. Joli cas d'énantiosème, figure de style qui donne 2 sens contraires pour un même mot."

On croise, bien sûr, dans le dixième arrondissement, Georges Perec :

"Un sosie de Georges Perec sort du 16".

Mais aussi Jean Rolin :

"Dans son livre capital où le Paris passé réfracte son présent, Walter Benjamin confronte le temps libre de l'écrivain au travail du monde capitaliste. De cette rencontre naît un livre-monstre, une marchandise intellectuelle calquée sur la fabrique en série mais affirmant sa valeur originale. Qui trouvera le temps de lire un fleuve ? Mon Paris, musée du XXIè siècle prendra son sens et son format progressivement. L'écrivain-reporter, qui travaille à la fois sur documents et sur pièces, en chambre et in situ -Balzac, Zola, Jean Rolin- fait permuter loisir et travail."
Thomas Clerc. Paris, capitale du XXIè siècle, le dixième arrondissement.

Or, je lis, dans le même temps, Zones, dans lequel Jean Rolin fouille la banlieue, loge dans les hôtels de ces quartiers si peu touristiques, note son quotidien de marcheur...

"Les règles relatives à la disposition des objets participent obscurément d'une économie du "voyage" dont le premier principe consiste à réduire graduellement mes échanges avec le monde extérieur, à transformer mon métabolisme, un peu à la manière d'un animal entrant en hibernation, de façon à dilater le temps et l'espace dont je dispose sinon pour ne rien faire, du moins pour ne rien entreprendre de plus précis, de mieux défini, que rêvasser, lire, marcher sans but, observer à la dérobée, me tenir à l'écart, attendre, voir venir."

Et décrit ses rencontres :

"Elle, la cinquantaine bien tassée, une vieille pute, pour dire les choses comme elles sont, grosse, la voix caverneuse, coiffée de cheveux décolorés et tire-bouchonnants comme s'ils sortaient à l'instant d'une machine à laver mal programmée, à l'instar de son chemisier, hideux, mélange de couleurs fondues."
Jean Rolin. Zones.

Il y a eu, également, Annie Ernaux qui écoute et regarde les autres vivre dans la Ville Nouvelle où elle habite ou à Paris.
La découvrant marcher sur les traces de Nadja, j'ai souri.

"Je suis descendue au métro Poissonnière et j'ai remonté la rue La Fayette jusqu'à l'église Saint-Vincent-de-Paul. On y accède par des marches. Une fille se bronzait, assise sur la pierre, elle écrivait une lettre. Un couple s'embrassait. J'étais comme à Rome, grimpant l'escalier plein de fleurs, vers le soleil, à la trinité-des-Monts. Ensuite, j'ai pris le boulevard Magenta, en cherchant le numéro 106, l'hôtel de Suède, autrefois le Sphinx Hôtel. La façade était bâchée, on démolissait l'intérieur de tous les étages. Un ouvrier s'est accoudé à une fenêtre et m'a regardée en riant et en disant quelque chose aux autres. J'étais immobile sur le trottoir d'en face, la tête levée vers l'hôtel (qu'on transforme peut-être en appartements). Il pensait que je retournais sur le lieu de mes souvenirs, d'un amour ou de pute. Je reviens sur les souvenirs d'une autre, Nadja, celle d'André Breton, qui a vécu dans cet hôtel vers 1927. (...) Je marchais dans les pas de Nadja avec une stupeur qui donne l'impression de vivre intensément."
Annie Ernaux. Journal du dehors.

J'ai souri et j'ai eu le sentiment de boucler une boucle.
J'ai eu le sentiment d'être un matériau convecteur et que, à travers moi, ces auteurs s'étaient parlé, répondu, entendus.

Ce jour-là, entre la petite averse du matin et l'orage monumental du soir, j'ai renoué avec mon vélo et la ville bruissante de mille cigales et je suis allée lire au Canal Café.
Je laisse à Annie Ernaux le mot de la fin (provisoire) de ces pérégrinations littéraires :

"Breton souhaite écrire des livres qui "jettent les gens dans la rue". Nadja m'a jetée dans la rue. Tout cela, cette liberté, cette quête, sont au fond de mon écriture, bien que je n'aie rien de commun avec le lyrisme et la poésie surréalistes. Occasion pour moi d'avancer que, ce qui compte dans les livres, c'est ce qu'ils font advenir en soi et hors de soi."
Annie Ernaux. L'écriture comme un couteau (entretien avec Frédéric-Yves Jeannet).

29.8.08

Paysage


La ville est pleine de ces couleurs -bleu tendre, gris loup, rouille patinée- qui attirent mon oeil et forment si spontanément des paysages, des images, des harmonies colorées.

Tokyo ressemble souvent à du land art sans artiste, sans intention dont je suis témoin par hasard.

28.8.08

C'est jeudi !


C'est jeudi et c'est ICI que je poste une carte postale très parfumée à Madame Gâ.

27.8.08

Le dernier jour (avant le reste de sa vie)


Sur mon cahier du thé, Clémence écrit :
"Le temps s'est couvert comme on est arrivées au café. Thé vert chaud pour Gwen (à cause de la mousse), coupe de glace/azuki/corn flakes/rien en forme de glaçons pour moi. Puis une assiette de warabi-mochi. C'est mon dernier jour et il reste encore des centaines de choses à voir et à découvrir : il faudra revenir.

Le café n'est pas plein, quoique bruyant (ce n'est pas plus gênant que ça), nous sommes assises au comptoir, face à la fenêtre. Tout semble vert : des restes dans nos verres aux arbres qu'on aperçoit derrière les stores verts du magasin d'en face. Et jusqu'à l'encre du stylo."

Clémence, à la question "tu veux habiter au Japon ?", tu as répondu "OUI !!!" en hochant la tête vigoureusement. Ils t'ont alors dit : "on t'attend" et j'ai trouvé ça joli.
Sache que moi aussi, je t'attendrai.

26.8.08

Tuesday self portrait


J'écrivais à Géraldine : "mais je SUIS fleur bleue !"

25.8.08

Le masque et le plumeau

Pour oublier que je n'aime pas ce que je suis en train de faire, j'enclenche un podcast et je monte le volume afin d'entendre l'émission même quand je passe l'aspirateur ou que je nettoie ma baignoire.

Ce matin, c'est le Masque et la plume que j'écoute.

"Ce film démontre qu'il n'a absolument plus rien à dire. Et ce "rien à dire", il le dit d'une façon absolument parfaite ! Il ne manque pas un bouton de guêtre à sa caméra !".
S'il l'avait su, j'imagine que Charensol n'aurait pas moins critiqué les travellings de la Peau douce mais il a été aussi surpris que les autres quand Michel Polac a annoncé que François Truffaut était dans la salle !
"Je crois qu'on ne répond pas à Charensol ! J'ai vraiment envie d'être plus puissant que je ne le suis et de lui donner une caméra pour qu'il fasse un court métrage parce que ça ferait vraiment rire tout le monde je crois !"
Ce soir de 1964, le cinéaste a été plus convainquant que le critique.
(la série d'émissions sur Truffaut est encore en écoute...)

C'est drôle comme le Masque et la plume, de l'avis de tout le monde, était toujours "mieux avant" même si cet "avant" n'est jamais le même selon l'âge de l'auditeur...

C'est drôle comme tout le monde a des souvenirs rattachés à cette émission et que, même s'ils sont différents (un retour à l'internat, une odeur de soupe, des devoirs pas encore faits pour le lendemain...), ils ont tous la couleur un peu délétère des dimanches soirs, ils font partie de notre socle commun.

Moi, je me souviens de la voix de Jacques Siclier mais aussi de ce que ma mère me disait de celle de Jean-Louis Bory.
De l'année où, me levant à 4H30 le lendemain pour aller travailler, le générique de fin était aussi celui de la fin de ma soirée.
Du soir où, avec E., on n'avait pas attendu ce générique pour nous précipiter au cinéma pour voir un film (mais j'ai oublié lequel) dont on venait d'entendre parler.

Quand l'appartement a été propre, je me suis attablée devant mon petit déjeuner en écoutant le Masque de la veille et en regardant le gris du ciel.
ça m'a donné l'envie d'aller au cinéma. Pas celle de laver les vitres.

24.8.08

L'image fantôme (le salon)

"Le Polaroïd est une marque déposée, comme le Coca-Cola. La réussite de ce genre de produit repose d'abord sur un mystère : l'objet doit être magique, il doit nous épater, ne jamais tout à fait dévoiler son secret. (...)
Quand le docteur Land, en 1947, a présenté à l'Optical Society of America son projet d'une pellicule à développement instantané, il l'a bien dit : "Le procédé doit rester caché, ou être non existant pour le photographe qui, par définitions devra penser seulement à l'art de prendre une photo, et non pas à la technique selon laquelle elle se forme."
(...) Il a fallu démontrer qu'il y avait un art Polaroïd distinct de l'art photograhique, bien que les couleurs sortent pareilles, bien que le format soit bloqué.
On a distribué des Polaroïds aux tenants de l'art photographique : Walker Evans, Ansel Adams, André Kertész, Duane Michals, Helmut Newton, Ralph Gibson et aussi des peintres, Andy Warhol, Richard Hamilton. A la fois on leur demandait leurs noms, et on leur demandait : "Montrez-leur que vous pouvez faire aussi bien avec cet appareil qu'avec votre appareil habituel, ou, mieux encore, montrez-leur que vous pouvez faire autre chose avec cet appareil, mais n'abandonnez pas vos tics, on ne vous reconnaîtrait pas." Walker Evans, qui photographia des façades presque toute sa vie, photographia une ultime façade de maison. Helmut Newton photographia des jambes de femme plantées dans des chaussures vernies noires. Duane Michals un dos d'homme qui s'étire. Chacun suivit ses fantasmes, recopia ses propres expressions. On proposa aussi aux photographes de travailler sur des hèmes, l'auto-portrait, par exemple, parce que l'appareil se prête bien à cet exercice solitaire : pas de témoin, et un contrôle total de l'image et de ce qu'on veut laisser comme image. (...)
Rudiger Vogler, le héros des films de Wim Wenders, fait souvent des Polaroïd (ou des Photomaton) dans le cours de ses désoeuvrements et de ses errances, comme pour doubler sa solitude d'une trace, pour s'en détacher, et aussi pour accroître la distance qui le sépare du monde, en le mettant en boîte, et en le faisant tomber sous forme de vignettes dérisoires, comme la viande hachée à la sortie du pressoir.
Le Polaroïd, après la photo, veut accéder au statut d'art, et c'est son droit : on peut faire de l'art avec n'importe quoi, des bouts de ficelle, une main posée sur une paroi. Mais la beauté et la force de ce matériel ne sont pas là, elles sont dans son côté recraché, précipité et fragile, dans sa course angoissée à l'immédiateté, à reculons dans le temps. André Kertész, qui a maintenant quatre-vingt-cinq ans, et qui vit à New York, ne peut plus sortir dans la rue avec son appareil : on le lui volerait aussitôt. Et puis sa main tremble. Il a d'abord fait des photos de sa fenêtre, au téléobjectif, avec un appareil sur pied. Maintenant il reste à l'intérieur et il photographie au Polaroïd l'intrusion de la lumière dans des petits objtets de verre, des oiseaux posés au bord de sa fenêtre. Et s'il utilise le Polaroïd, c'est qu'il est à un âge où  il ne peut plus attendre le temps du développement, dans la crainte que la mort lui ravisse l'image..."
Hervé Guibert. L'image fantôme.

Dans les hivers de la rue Jean Bart, le soleil traversait toute la bibliothèque et, après s'être posé sur Belours et Agneaudoux d'Hervé Guibert, sur Un 19 février à Stella Plage d'E, il rampait jusqu'au fauteuil.
C'était, alors, l'heure des genoux pour le chat gris, l'heure des théières et des Polaroïd qui rendaient ces lieux fantomatiques avant même que nous vienne l'idée de les quitter.

23.8.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (9)

(Où est le bureau des réclamations ??? Oui, j'ai fait le voeu de "samedis de pluie" mais pas seulement... Alors pourquoi seul le début de ma phrase est exaucé ???)


La météo fait parfois bien les choses : la pluie ne commence pas à tomber avant que j'aie pu faire des provisions de bouche et je guette les premières gouttes en buvant du Pu Er et en grignotant mon sandwich chaud.

Plus tard, je prends le train jusqu' ICI et je mange des dangos au sésame noir.

C'est donc en dégustant des produits régionaux que je vous adresse cette carte de Georges Perec...

Nous vadrouillons à travers la Corse. Longues siestes et dégustation de produits régionaux. On grossit. Mille pensées.

22.8.08

Les couleurs du thé

A l'heure du réveil, le soleil encore sommeille. Et, pendant que l'eau du oolong chauffe, quelques secondes de vie commune derrière un écran, une requête à contre coeur, une requête qui déchire ("ne m'écris pas"... des mots impossibles) et des sanglots secs.
Puis un peu d'or -malgré tout- sur les paupières avant de partir.
Nous avons rendez-vous dans une flaque de beau temps et près d'une librairie.

Les udons sont parfaites. Le thé est vert et glacé. Une semaine à nous raconter. Et le reste.
Les glaçons ont le temps de fondre.
Sur la terrasse à ciel ouvert, j'inaugure le nouvel appareil (ma couleur rose, décidément).

Le vert est une couleur froide mais qui, cette fois, se boit chaude.

Nous pourrions y jouer longuement encore, au jeu de "je t'invite". Devant le car Wolkswagen, c'est mon tour. Un espresso après la glace au chocolat. Un darjeeling avant que je reprenne le train.

Notre conversation adopte les méandres des irrésistibles ruelles Showa.
Sur le balcon, le biwacha s'agrémente de warabimochi et le ciel a la teinte de l'imper d'un détective amateur.
J'aime comme il sourit.
J'aime aussi sa théorie que je n'oublierai pas, qui dit que, même si nous ne voyons pas l'intérêt de certaines rencontres, nous sommes peut-être, sans le savoir, en train de jouer un rôle dans la vie des autres.

Dans la Yamanote me vient l'envie d'un thé rouge aux marrons glacés pour refermer la journée.

21.8.08

C'est jeudi !


C'est jeudi alors, c'est ICI que je raconte à Madame Gâ mes aventures oniriques et estivales.

20.8.08

Portraits sans porte

Des gens que je connais, je ne retiens pas toujours l'exacte couleur des yeux.
Plutôt leur stature, leur silhouette, leur démarche... Leur manière de bouger.
Mais, quand il s'agit de les décrire, je ne peux pas m'empêcher de parler de leurs cheveux.

Tout ne passe pas par le regard mais, l'autre soir, alors que je le rencontrais pour la première fois, il a planté ses yeux dans les miens avec tellement de franchise et d'insistance que j'ai détourné la tête (il y a un temps où j'aurais rougi).

De cet autre, je sais que ses mains ne lui permettent pas toutes les interprétations sur un clavier noir et blanc mais, lorsqu'elles se posent sur ma taille le temps d'un feu rouge ou d'une danse... Cela m'est bien égal.

"Ainsi qu'Inga me l'avait un jour fait remarquer, depuis Platon, la philosophie et la culture occidentale ont un côté oculaire : la vue est notre sens dominant. Nous nous déchiffrons mutuellement à l'aide de nos yeux, extension anatomique de notre cerveau. Quand nous regardons quelqu'un dans les yeux, c'est dans un cerveau que nous regardons. Un individu sans yeux est perturbant pour la simple raison que les yeux sont les portes de la personne."
Siri Hustvedt. Elégie pour un Américain.

19.8.08

Tuesday self portrait (ma couleur rose)


"C'était en cours de français avec Mme Maigre (qui est un antonyme vivant tellement elle a de bourrelets). En plus, elle met du rose. J'adore le rose, je trouve que c'est une couleur injustement traitée, on en fait un truc de bébé ou de femme trop maquillée alors que le rose est une couleur très subtile et délicate, qu'on trouve beaucoup dans la poésie japonaise. Mais le rose et Mme Maigre, c'est un peu comme la confiture et les cochons. Bref, ce matin, j'avais français avec elle. En soi, c'est déjà une corvée. Le français avec Mme Maigre se résume à une longue suite d'exercices techniques, qu'on fasse de la grammaire ou de la lecture de textes. Avec elle, on dirait qu'un texte a été écrit pour qu'on puisse en identifier les personnages, le narrateur, les lieux, les péripéties, les temps du récit, etc. Je pense qu'il ne lui est jamais venu à l'esprit qu'un texte est avant tout écrit pour être lu et provoquer des émotions chez le lecteur. Figurez-vous qu'elle ne nous a jamais posé la question : "Avez-vous aimé ce texte/ce livre ?" C'est pourtant la seule question qui pourrait donner un sens à l'étude des points de vue narratifs ou de la construction du récit..."
Muriel Barbery. L'élégance du hérisson.

18.8.08

Le cahier du thé

Il n'y a que pour mes albums de photos instantanées

ainsi que pour mes journaux en voyage,

(j'aime beaucoup ce polaroïd que m'a offert Géraldine)
il n'y a, donc, que pour mes journaux et mes polas que je choisis la monotonie des carnets identiques.
Pour le reste, j'aime varier les formats, les papiers, les couleurs. J'aime aussi lorsqu'il m'arrive d'en recevoir.
J'aime avoir quelques carnets, quelques cahiers en réserve, en attente. J'aime les savoir là, les regarder, réfléchir à leur éventuel usage puis les ranger à nouveau sur l'étagère qui leur est consacrée.

Il y a un an que Jenny m'a envoyé ce cahier, un an que cette tasse fleurie me fait de l'oeil.
Et puis, soudain, ça m'est apparu hier comme une évidence :
de tous ces moments passés dans les cafés, je pourrais garder une trace autre que les photos que, parfois, j'y prends. Autre que les étiquettes des mousselines de thé que, parfois, je conserve. Autre que les pages de mon journal que j'y noircis, autre que les pages des livres que j'y lis.

Depuis hier, je glisse, en plus de tout le reste, celui que j'appelle mon "cahier du thé" dans mon sac déjà chargé.
Afin d'y consigner les couleurs du ciel ou celles des murs, les parfums des thés, les matières des tasses, les ambiances sonores de ces moments qui s'organisent autour d'un thé.

"Comme Kakuzo Okakura, l'auteur du Livre du Thé, qui se désolait de la révolte des tribus mongoles au XIIIè siècle non parce qu'elle avait entraîné mort et désolation mais parce qu'elle avait détruit, parmi les fruits de la culture Song, le plus précieux d'entre eux, l'art du thé, je sais qu'il n'est pas un breuvage mineur. Lorsqu'il devient rituel, il constitue le coeur de l'aptitude à voir de la grandeur dans les petites choses. Où se trouve la beauté ? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnées à mourir, ou bien dans les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l'instant une gemme d'infini ?
Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accesssion à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d'introduire dans l'absurdité de nos vies une brèche d'harmonie sereine. Oui, l'univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l'insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d'automne bruissent et s'envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps."
Muriel Barbery. L'Elégance du hérisson.

17.8.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (8)

J'ai acheté des cahiers et un pain aux figues et je suis rentrée avant le début du typhon.

"A Liré, elle vivait étendue dans un petit salon mauve et jonquille, aux murs ornés de livres précieux. Elle était la dernière des bibliophiles : elle n'avait jamais coupé les pages des précieux grands papiers enfermés dans les bibliothèques aux grilles d'or.
-Les beaux livres, disait-elle en fermant à demi les yeux, ne se lisent pas, mais se respirent comme des fleurs...
Sur une petite table, à côté d'elle, était toujours posé un Shakespeare, édition de poche, relié de daim gris. Elle ne l'ouvrait jamais mais, lorsqu'elle descendait au jardin, on entendait sa voix plaintive, appelant la femme de chambre :
-Juliette, mes gants, mon ombrelle et mon Shakespeare..."
Irène Némirovsky. La Proie.

Puis, les premières gouttes sont tombées, derrière la moustiquaire. Des gouttes lourdes et sonores. Les cigales se sont tues. Et tout l'appartement a été envahi du parfum estival de la terre mouillée.
Alors j'ai continué à lire en attendant la fin de l'averse pour aller chercher une glace au macha.
Et moi, pour qui partir en voyage consiste seulement, en ce moment, à faire des tours de Yamanote... je vous envoie tout de même une carte de vacances signée Georges Perec.

On est logés à l'Engadiner. Service très stylé. Bouffe copieuse. Je surveille mon estomac. On revient la semaine prochaine.

16.8.08

Les rendez-vous du samedi

J'aimais nos rendez-vous, une fois par mois, nos conversations, toujours le samedi matin, assez tôt. Parfois même à l'improviste.
Monsieur B., enfant sans enfant, m'avait, un de ces samedis (et je me souviens à quelle place il était assis et presque du temps qu'il faisait), parlé de sa maison qu'il transformait, des meubles dont il se séparait, qui allaient poursuivre leur vie de meubles chez ses neveux, dans l'appartement de ses neveux qui habitaient loin de chez leurs parents à cause de leurs études.
Et je m'étais dit -et je l'avais dit à voix haute, je l'avais dit à Monsieur B.- qu'il m'était difficile d'imaginer qu'un jour, mes neveux et nièces ne seraient plus des enfants et auraient besoin de meubles.

Et voilà que c'est maintenant.
C'est maintenant que je suis en âge d'avoir des relations adultes avec cette personne dont j'ai fait la connaissance quelques jours après sa naissance.

Constatant la passion de Clémence pour Alice, je lui ai appris que, alors qu'elle n'était qu'une toute petite fille qui marchait, ne parlait pas encore et souriait rarement, elle savait, grâce à moi, désigner Alice, la Reine et le lapin sur le papier que j'avais rapporté de Londres et qui était punaisé sur le mur de ma chambre.
"ça vient peut-être de là, alors !" a-t-elle dit.
Sans doute pas mais n'est-ce pas de bon augure pour la suite que de faire la connaissance de Lewis Carroll si tôt dans la vie ??

(Je me demande si Monsieur B., lui aussi, repense de temps en temps à ces samedis matins...)

15.8.08

Un jour chaud


Au premier étage du café, les murs sont aubergine et les fauteuils confortables.
Les fenêtres donnent sur la rue piétonne, les branches des arbres agitées par un vent mou, le joli restaurant qui tarde à ouvrir.
Seul l'escalier non climatisé rappelle que le ciel bleu traversé d'avions et de nuages d'été est un leurre aussi efficace qu'un décor mais que, au-dehors, la brûlure du soleil n'est pas factice.
Dans ce jour chaud, je laisse passer les heures au gré des gorgées d'un gobelet de lait de soja et je me transporte dans l'hiver vénitien, des histoires de glace et de ce qui pourrait être de l'amour.

"Je lis tout, même après, le dépôt légal et la quatrième de couverture.
Quand j'ai fini, je referme le livre.
Je ne le lâche pas.
Je ne sais pas combien de temps je reste là. Quand je relève la tête, il ne pleut plus.
Sur la table, il y a le gâteau et la boule de sorbet qui a fondu."

"-Vous lisez l'italien ?
-Non.
Au fond, une étagère à part. Des livres en français.
-Tenez, prenez ça, Duras, Un barrage contre le Pacifique, ça devrait vous plaire."

"Vous ralentissez et on recommence à marcher côte à côte. On débouche sur une grande place Le Campo San Stefano.
-Ici, l'été, c'est envahi de monde. Il ne faut pas venir.
-Où il faut aller l'été ? je demande.
-Nulle part. Il faut acheter des livres et rester chez soi."

"Hemingway venait là lui aussi. Et puis Barrès, Proust, Morand...
On revient à cela, toujours, immanquablement.
-Vous les aimez tant que ça tous ces gens ?
-Je les aime oui.
-Tellement ?
-Tellement.
-Et vous venez là parce qu'ils y sont venus ? Les livres ne suffisent pas ?
-C'est la vie qui ne suffit pas.
-Mais les livres, ce n'est pas la vie ?
Vous souriez.
-Peut-être que vous avez raison."

"On reste ensemble. A parler. Toute cette heure entre trois et quatre.
Vous me montrez des livres, vous les posez devant moi, en poussant les tasses. Vous poussez tout. Sauf le chat. Le chat, vous ne le dérangez pas.
Des poèmes de Rainer Maria Rilke. Les cahiers de Malte Laurids Brigge, Primo Levi, Sepulveda. Je ne retiens pas tout. Vous riez.
-Il faut absolument lire ça !
-Pourquoi ?
-Pourquoi !
Vous riez encore à cause de tout ce besoin de lire. Cette parole-là, autour, qui vous allume les yeux.
-Les livres ! vous dites, les livres !"

"-Vous avez toujours vécu au milieu des livres ?
-Toujours.
-Et quand il n'y a pas de livres ?
-Il y a du temps que l'on m'arrache, du temps que je perds. J'essaye de lutter...
Vous souriez, consentant.
-Mais je m'efforce de gagner chaque jour ma part de bonheur.
Vous me regardez.
-Vous avez froid ?
-Non.
-Vous tremblez."
Claudie Gallay. Seule Venise.

14.8.08

C'est jeudi !


C'est jeudi et, même en plein mois d'août, notre boîte aux lettres des jeudis reste ouverte et Madame Gâ m'y a écrit une carte postale très estivale.

13.8.08

Une heure avant le jour

"Elle raccrocha. Il n'y avait plus de week-end. Roger devait aller à Lille ce samedi, lui avait-il expliqué, pour ses affaires avec son associé de là-bas. C'était peut-être vrai. Elle supposait toujours que c'était vrai. Elle pensa subitement à l'auberge où ils allaient généralement ensemble, aux feux brûlant partout, à la chambre qui sentait un peu l'antimite; elle imagina ce qu'auraient pu être ces deux jours les promenades avec Roger, les conversations avec Roger, le soir, et les réveils l'un près de l'autre, avec tout le temps devant soi, toute une journée, chaude et lisse comme un plage. Elle se retourna vers le téléphone. Elle pouvait déjeuner avec une amie, aller faire un bridge le soir chez... Elle n'avait envie de rien. Et elle avait peur de rester seule deux jours. Elle haïssait ces dimanches de femme seule : les livres lus au lit, le plus tard possible, un cinéma encombré, peut-être un cocktail avec quelqu'un ou un dîner et, enfin, au retour, ce lit défait, cette impression de n'avoir pas vécu une seconde depuis le matin. Roger avait dit qu'il l'appellerait le lendemain. Il avait sa voix tendre. Elle attendrait son téléphone pour sortir. De toute manière, elle avait des rangements à faire, de ces occupations typiques que lui avait toujours recommandées sa mère, ces mille petites choses de la vie d'une femme qui la dégoûtaient vaguement. Comme si le temps eût été une bête molle qu'il fallait réduire. Mais elle en venait presque à regretter chez elle l'absence de ce goût Peut-être y avait-il effectivement un moment où on ne devait plus attaquer sa vie, mais s'en défendre, comme d'une vieille amie indiscrète. Y était-elle déjà ? et elle crut entendre derrière elle un immense soupir, un immense choeur de "déjà".
Françoise Sagan. Aimez-vous Brahms ?

J'ai déposé le plateau du petit déjeuner près des draps. Depuis que j'ai écouté Avec mon meilleur souvenir dans sa voix, j'entends Sagan quand je lis ses mots. Et lire Sagan en semant quelques miettes dans mon lit, j'ai trouvé que ça cadrait bien. Elle a l'élégance d'écrire des livres d'une centaine de pages que je paye une centaine de yens et que je lis en une heure, un peu en douce, avant que la journée commence vraiment.
Et ces lignes impriment aux heures qui suivent une ambiance un peu aigre-douce, donnent envie d'avoir l'assurance qu'on est aimé autant qu'on aime.

12.8.08

Tuesday self portrait (à Shimokitazawa)

Quand on est descendues du train, j'ai dit à Clémence qu'on était mardi et qu'on avait la journée pour trouver le self portrait du jour.






Elle a pris cette tâche au sérieux et moi, je n'ai pas su choisir...