30.11.08

Nous sommes des soeurs jumelles (mais elle seule est gémeaux)

Madame Gâ a pris le train mardi et, de son séjour parisien qui me prive de ses mails quotidiens, j'ai hâte de connaître les détails.
Pour autant, elle ne m'a pas complètement abandonnée : en prévision de son absence, elle m'a envoyé la compagnie de Jude Law avec qui il est agréable de petit déjeuner.

Entre les pages du magazine, elle a glissé ses commentaires et c'est un peu comme si nous feuilletions négligemment ces pages glacées, entre deux gorgées de thé et nos conversations essentielles.
Ensemble, nous gloserions longuement, à n'en pas douter, sur les promesses de nos horoscopes. Pour une fois que les astres ne m'enfoncent pas la tête sous l'eau, j'aimerais pouvoir les croire et la hisser, la voile...

Quant à la photo de notre été, il me semble qu'elle mérite bien d'être publiée dans la rubrique shopping !

Il n'y a vraiment que Monsieur Be pour savoir saisir ces gestes-là...

29.11.08

La tyrannie de la lumière

Finalement, il serait peut-être mieux pour moi d'habiter en Norvège. Au moins, pendant six mois, je n'aurais pas à me soucier de la météo du lendemain...

Et je resterais bien au chaud chez moi à regarder les photos que j'aurais prises quand il faisait jour.

Au moins, je serais moins esclave de cette lumière qui, ici, m'oblige à sortir toute l'année.
Alors même que je sais qu'elle est bien trop chaude en été et bien trop fraîche en hiver.
Mais l'automne s'accorde parfaitement avec mes envies de profiter de chaque rayon.

Marcher ou m'arrêter, tout est possible dans ces jours doux à condition de bien nouer mon écharpe et le soleil est aussi tendre avec ma peau qu'avec le paysage.

C'est une autre rivière qui guide mes pas, aujourd'hui. De celles qui, dans le calme absolu du ciel bleu, mènent au parc par un détour au temple.

Sur un banc, je vide mes poches des polaroïds amassés le long du chemin, je regarde passer les barques et les pédalos, je jette un oeil sur le carnet d'aquarelles dont mon voisin colore une nouvelle page, j'apprécie la conversation tranquille entre l'enfant et sa mère qui partagent un onigiri.

Ensuite, au bout d'une rue, je me souviens que la ville n'est pas loin et je découvre une terrasse sur les toits qui permet de profiter du soleil jusqu'à ses derniers moments.

A 16 heures, il chavire lentement et je retrouve ma liberté.
Je devrais être raisonnable, savoir que dès le lendemain, il se lèvera à nouveau, que je peux me permettre de manquer quelques heures de ciel bleu. Mais non, je n'y arrive pas.
C'est ça être dépendante.

28.11.08

les balais de l'automne (5)


Et quand soudain, entre deux ciels immensément bleus, se faufile une journée de pluie qui alourdit nos pas et change les feuilles d'or des ginkos en écoeurante purée,

je m'en console avec un bol de macha et les mots d'un poète. Et je pourrais formuler le même voeu que lui.

"Quelquefois, je passe devant de petites boutiques : dans la rue de Seine, par exemple. Ce sont des antiquaires, de petits bouquinistes ou des marchands d'eaux fortes aux vitrines trop pleines. Jamais personne n'entre chez eux, ils ne font apparemment pas d'affaires. Mais si l'on y jette un coup d'oeil, on les voit assis, toujours assis, lisant et insouciants. Ils ne songent pas au lendemain, ne s'inquiètent d'aucune réussite. Ils ont un chien qui est assis devant eux et frétille de bonne humeur, ou un chat qui agrandit le silence en se glissant le long des rangées de livres, comme s'il effaçait les noms du dos des reliures.
Ah ! si cela pouvait suffire : je voudrais quelquefois m'acheter une de ces vitrines pleines de choses, et m'asseoir là derrière, avec un chien, pour vingt ans."
Rilke. Les cahiers de Malte Laurids Brigge.

"Rien d'autre, oui, si ce n'est l'amour. Et comme l'écrit un poète, tout le reste m'est feuilles mortes."
Philippe Forest. Le nouvel amour.

27.11.08

C'est jeudi !


Et c'est dans la boîte aux lettres de nos jeudis que j'entretiens Madame Gâ de quelques manies langagières.

26.11.08

Le jour des hélicoptères comme dans un film de Godard


Depuis "le jour des oeufs durs au petit déjeuner", chacune des dates du calendrier porte un nom dans mon carnet du jour.
Bien sûr, ce n'est pas une idée très originale. Elle existait déjà dans Téléchat où chaque jour était une fête et l'occasion d'interviewer le gluon du saint quotidien (Ici, par exemple, il y a une interview du gluon de la neige).
En voyant les illustrations de Junzo Terada, j'ai d'abord pensé que j'aimerais connaître ce qui a présidé au choix du nom des dates qu'il illustre.
Et puis, finalement, je me suis dit que c'était bien aussi, de tout en ignorer pour pouvoir tout imaginer.

Projet :
Dans une chaîne qui pourrait être infinie, écrire un texte qui imaginera le fait marquant ou l'anecdote d'un 26 novembre qui a poussé Junzo Terada à le baptiser "jour du stylo". Puis, confier ce texte -sans le dessin initial- à quelqu'un qui l'illustrera à son tour (avec la technique de son choix)... Et ainsi de suite.

Le nom de certaines de mes journées pourrait également être à l'origine de textes, d'images, de textes, d'images, de....

29 septembre : le jour de la dame sur son balcon.
1er octobre : le jour où le soleil s'est levé à 16 heures.
8 octobre : le jour de la musique des graviers dans ma semelle.
9 octobre : le jour de l'amour qui voudrait durer longtemps.
11 octobre : le jour du shopping impromptu, en attendant.
16 octobre : le jour des souffrances de Van Gogh.
19 octobre : le jour du silence sur le terrain de golf.
28 octobre : le jour du compliment dans la rue.
31 octobre : le jour de la convalescence sans avoir été malade.
11 novembre : le jour du Cap Horn.
14 novembre : le jour où je suis descendue à Harajuku.
20 novembre : le jour de la philosophie de la mer.

25.11.08

tuesday self portrait (Narcisse)


"Les icônes de Narcisse sont innombrables : elles sont souvent de surface.
Intéressante expérience à cet égard, plusieurs fois tentée, d'ailleurs : donner à des personnages anonymes l'occasion de se photographier eux-mêmes par l'intermédiaire d'un déclencheur à distance et de systèmes de développement instantanés. Regarder, certes avec sympathie, les résultats de l'expérience, qui s'inscrivent bien entendu au niveau de la psychologie, de la sociologie, de l'inconscient révélatif. Mais ils s'inscrivent aussi à celui -individuel et indivis- de l'attitude, du quant-à-soi et du qu'en-dira-t-on. Même si ces images, si personnalisées encore que véritablement impréparées, ont pu quelquefois servir à des démonstrations esthétiques, leur candeur apparente n'est inscrite que dans leurs sujets et dans la méconnaissance que ceux-ci ont de leur image. Elle n'est pas inscrite en celle-ci. Pourtant , la méconnaissance , en soi, enclenche le goût d'en savoir davantage; une photo en entraîne une autre; un portrait entraîne l'autre. Jusqu'à ce que Narcisse change de côté et, de modèle, devienne auteur."
Jacques Meuris. Le photographe et ses modèles.

24.11.08

Les images fantômes

Ca faisait longtemps que je n'avais pas suivi les méandres de cette rue et aller jusqu'à Iidabashi à pied était l'occasion de le faire à nouveau.

"En marchant en écrivant", est le titre de la série d'émissions et, alors que je longeais le botanique, Philippe Vasset a expliqué que, depuis la publication de son Livre blanc, les zones qu'il a explorées se sont emplies de manières diverses et ne méritent plus d'être blanches sur la carte IGN.

La géographie des zones urbaines est plus changeante que celle des forêts.
Je me souviens que je portais un tee shirt vert et que j'avais passé du temps dans cette rue, devant une maison que la lumière sépia illuminait. Il reste de cette fin d'après-midi un peu lointaine un carnet de polaroïds. La maison, elle, n'existe plus.

La ville est mouvante. Les friches se construisent à toute allure, les constructions disparaissent du jour au lendemain.
Il n'y a ni ordre de priorité ni logique apparente : ce ne sont pas les bâtiments les plus anciens qui disparaissent les premiers.

Ils sont nombreux, les lieux dont j'ai pris l'empreinte numérique qui, à présent, n'existent plus que sous forme de clichés.
Mais il y a aussi ceux dont cette trace a disparu parmi les six mois photographiques anéantis par mon ordinateur. Ces lieux qui ont disparu deux fois et dont l'image fantôme et vacillante ne subsiste que dans ma mémoire. (Mais jusqu'à quand ?)

23.11.08

Un dimanche trop court


Chaque heure de ce jour de la semaine porte en elle le regret de la précédente.

C'est Tokyo dans le soleil doux du début de l'après-midi et les cris des enfants débordent des murs du botanique.
Les chiens de passage me réclament des câlins et leurs maîtres m'en remercient.
Le photographe déclenche son moyen-format bruyant.
Les ginkos ont la couleur précieuse des lingots.

C'est l'automne mais, dans le bourdonnement des mouches et la caresse du soleil sur les marches du temple, ça pourrait être aussi l'été immobile, les champs moissonnés, la récolte du jardin et les rendez-vous de l'amour naissant le soir.
C'est un dimanche d'automne à Tokyo mais, par une soudaine ubiquité, c'est aussi, un peu, la campagne suisse de Ramuz.

"L'après-midi passa lentement. La chaleur alourdit les heures comme la pluie les ailes des oiseaux. Aline cueillait des laitues avec un vieux couteau rouillé. Quand on coupe le tronc, il en sort un lait blanc qui fait des taches brunes sur les doigts et qui colle. Les lignes dures des toits tremblotaient sur le ciel uni, on entendait les poules glousser, les abeilles rebondissaient à la cime des fleurs comme des balles de résine. Le soleil paraissait sans mouvement. Il versait sa flamme et l'air se soulevait jusqu'aux basses branches des arbres où il se tenait un moment, puis retombait; les fourmis couraient sur les pierres; un merle voletait dans les haricots. Lorsque son tablier fut plein, Aline considéra le jour, le jardin, la campagne; déjà le soleil descendait en vacillant vers la montagne à l'horizon; un peu plus tard, il s'aplatit dessus comme une boule de cire qui fond. Des charrettes roulaient sur la route. L'heure était venue. Elle avait dit : "Pour sûr."
C.F. Ramuz. Aline.

22.11.08

Ici et maintenant (ou ailleurs)

Il ne faudrait pas croire que, parce qu'elle est quotidienne, la pratique de l'instant présent est si évidente, si immédiatement réussie.

A mes journées aussi viennent se superposer des bribes de la page suivante de mon agenda.
C'est parfois un effort d'être tranquille et de rester campée dans le "ici et maintenant" qui, pourtant, me sied le mieux.

Mais, ces jours derniers, rien ne vient parasiter tous ces moments dont je savoure la grâce sans compter.
Quant aux évocations d'un possible avenir, elles parlent de la ville de B. et me font penser que la vie continuera toujours à être aussi belle.

Je ne suis pas inquiète.

21.11.08

"Nuage en forme de"

"Nuage est dans une âme en forme de
Nuage en forme de
Brûlant nuage"
Salah Stétié. Inversion de l'arbre et du silence. I.

Quand les nuages ont autant d'imagination qu'un poète, j'ai l'impression de voir l'âme du ciel.

20.11.08

C'est jeudi !


Et, c'est dans la boîte aux lettres de nos jeudis que je parle à Madame Gâ de la décoration intérieure des cerveaux.

19.11.08

Les balais de l'automne (4)


Hier, j'ai commencé la journée en lui écrivant que je n'avais pas envie de ma semaine, que tout avait des allures de corvée et que je n'avais de l'entrain pour rien, pas même pour aller chez le coiffeur...
Et puis...
Et puis, j'ai relu Perec, ce texte de L'infra-ordinaire et ça m'a donné le courage et l'envie de voir mes journées à venir autrement. Et, comme le soleil s'en donnait déjà à coeur joie, j'ai empoigné mon pola et, avant toute autre chose, j'ai commencé par épuiser, dans les premières heures de la matinée, quelques pellicules d'instantanés et me brûler les mains autour d'un gobelet de thé à Ikebukuro .
Ensuite, tout est allé mieux : j'ai renoncé à hiberner et j'ai traversé toute la journée avec plus de légèreté.

"Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m'ennuient, ils ne m'apprennent rien; ce qu'ils racontent ne me concerne pas, ne m'interroge pas et ne répond pas davantage aux questions que je pose ou que je voudrais poser.
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le décrire ?
Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?
Comment parler de ces "choses communes", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.
Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique.
Interroger ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l'origine. Retrouver quelque chose de l'étonnement que pouvaient éprouver Jules Verne ou ses lecteurs en face d'un appareil capable de reproduire et de transporter les sons. Car il a existé, cet étonnement, et des milliers d'autres, et ce sont eux qui nous ont modelé.
Ce qu'il s'agit d'interroger, c'est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. Nous vivons, certes, nous respirons, certes; nous marchons, nous ouvrons des portes, nous descendons des escaliers, nous nous asseyons à une table pour manger, nous nous couchons dans un lit pour dormir. Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?"
Georges Perec. L'infra-ordinaire.

18.11.08

Tuesday self portrait (ma couleur rose, décidément)


Mais pourquoi donc me suis-je passée pendant tant de temps de porter une couleur qui, décidément, me vaut systématiquement des compliments ???
Il y a des choses qu'on apprend lentement.

17.11.08

Le lundi au soleil

La chanson de Claude François est une rengaine énervante. Parce que, une fois qu'elle s'est installée, on a du mal à la déloger et qu'elle parasite nos pensées.
"Et l'été touchait à sa fin, il entendait déjà sa voix".

Après le gris derrière les vitres du week end, c'est un lundi au soleil, le bleu immaculé du ciel, la couleur précieuse des feuilles des ginkos, la douceur de l'air... Ces jours où rien ne peut être tragique.
"Soleil de plomb dans le matin, je pense à toi".

A peine montée dans l'Odakyu, j'ai des fourmis dans les jambes, j'ai des envies d'école buissonnière, de descendre à Shimokita et marcher tout droit jusqu'à n'être plus nulle part en particulier.
"C'est bon, ça va, j'ai plus quinze ans".

J'aime beaucoup ses yeux. Elle doit avoir du mal à l'habiller, cette silhouette un peu massive mais ses yeux. Ses yeux sont noirs et doux et son maquillage est très beau.
"Et elle aimait la vie comme vous n'imaginez pas".

J'aime aussi sa main à lui qui, de tout le trajet, ne quitte pas ses cheveux, qui les caresse, qui attire parfois sa tête contre la sienne ou l'en écarte un peu pour mieux la regarder rire.
"Pas trop mal partis pour s'embrasser pendant six mois".

Quant à elle, je ne verrai pas ses yeux. Son chapeau couvre son visage jusqu'au menton que le sommeil plaque contre sa poitrine.
"Mal au coeur sur terre. Dormir quelque part".

A Claude François, je parviens, tout de même, à substituer les ritournelles de Vincent Delerm qui forment comme des sous-titres aux séquences de mon voyage.

"J'voulais seulement une journée, un train d'banlieue un matin. 
J'voulais seulement arriver sur un générique de fin".

16.11.08

Mes carnets (et son Moleskine)

"Quelques temps après, je séjournais à la campagne, et toutes sortes d'idées mélancoliques me passaient par la tête, quand je reçus de l'Impératrice, en un paquet, vingt cahiers de superbe papier. Sa Majesté me faisait dire de revenir, et m'écrivait : "Si je vous envoie ce papier, c'est que je me rappelle ce que vous contiez l'autre jour. Mais comme il semble d'une qualité inférieure, vous n'y pourrez sans doute pas copier l'Ecriture de longue vie."
(...)
Ravie, je m'empressai de faire, avec le papier que j'avais reçu, un cahier de notes, et, en vérité, j'eus tant de plaisir que j'oubliai mes ennuis, et que je me sentis charmée au plus profond du coeur."
Sei Shônagon. Notes de chevet

De même que nous sommes nombreux à lire dans les trains, les cafés, nous le sommes tout autant à y noircir quelques pages d'un carnet.
Ici, la tenue d'un journal est une pratique ni spécialement féminine ni anecdotique. Ne jamais sortir sans papier ni crayon pourrait être un principe de vie -même en temps de guerre. Même si, maintenant, on peut acheter de quoi écrire tous les 150 mètres dans les combinis- et, si mon sac est toujours si lourd, c'est que moi, je l'applique.

"Yasuko se releva lentement, alla prendre un cahier dans le tiroir d'une commode, et le remit silencieusement à Shigematsu. C'était son journal pour l'année 1945. Deux drapeaux se croisaient sur la couverture : le Soleil levant, emblème national, et le Soleil dardant ses rayons, emblème de la Marine. Yasuko l'avait rédigé lorsqu'ils étaient encore à Hiroshima, au quartier de Senda, chaque soir, après le dîner, assise à la table du petit salon. Si fatiguée qu'elle fût, elle n'avait jamais manqué de l'écrire.
Sa méthode était la suivante : plusieurs jours de suite, elle n'écrivait que quatre ou cinq lignes, et tous les cinq ou six jours, elle reprenait en détail tous les événements des jours précédents. C'était une méthode pratiquée par Shigematsu lui-même depuis longtemps, et comme il la lui avait enseignée, elle l'avait adoptée. Lorsqu'on rentrait tard à la maison et qu'on avait trop sommeil, on se contentait d'en finir le plus vite possible, d'où l'idée de ce procédé que Shigematsu appelait "en gros et en détail".
Masuji Ibuse. Pluie noire.

"Je suis aussitôt allé chez M. Nojima pour le remercier et en même temps voir ce qu'il en était pour lui. J'ai remarqué les traces de pluie noire à ses mains à lui aussi, comme il se hâtait dans ses préparatifs d'exode.
"Est-ce du gaz toxique ? lui ai-je demandé.
-Ce n'est pas du gaz, non, a-t-il répondu en mettant dans un sac à dos des provisions de bouche et des cahiers, ce n'est pas du gaz."
Masuji Ibuse. Pluie noire.

J'aime particulièrement quand les écrivains se saisissent du motif du journal et nous font lire par-dessus l'épaule de leur personnage.
Et quand c'est Henry James qui se prête au jeu, forcément, le récit est particulièrement retors.
"Je viens de relire les pages de mon journal pour la première fois depuis -je ne sais quand. Elles sont toutes remplies d'elle -et plus encore en pensées qu'en mots. Je crois que je les lui montrerai quand elle reviendra. Je lui ferai lire ce cahier : je resterai assis à côté d'elle et j'observerai l'expression de son visage -j'observerai la révélation du grand secret."
Henry James. Un peintre paysagiste.

15.11.08

Tout le temps dehors

Et pourtant, des salles des musée, j'aime la pénombre qui fait oublier l'heure qu'il est, le temps qu'il fait dehors et aussi, un peu, qui on est.

Et pourtant, des salles de musée (en cela comparables aux salles de cinéma), j'aime la possibilité de m'abandonner à l'imaginaire des autres, de pénétrer dans des univers qui ne me sont pas familiers, de forcer mes yeux à voir les choses autrement.

Et pourtant, des salles de musée, je ressors souvent enthousiasmée par une phrase typographiée à même le mur que je note dans mon carnet en me disant que j'aimerais que cette citation coure sur mes murs aussi.

Mais voilà.
Toujours Tokyo me retient dans ses rues qui m'offrent à voir sans cesse sculptures étranges ou installations urbaines qui pourraient être artistiques.

Et puis.
Et puis il me faudrait déménager car sur mes murs, en ce moment, en plus des mots de Char qui y sont épinglés, j'aimerais inscrire tous ceux là.

14.11.08

C'est (toujours) l'heure du thé.


Un jour, je serai une vieille dame. Et je mangerai des toasts dans un de ces endroits où, n'importe où dans le monde, les amies de tout âge se retrouvent pour boire un thé.
Un jour, je serai une vieille dame et nous continuerons d'avoir rendez-vous pour encore parler d'amour et d'avenir alors même que nos mains seront tachées et un peu tremblantes.

En attendant de vieillir, nous emmêlons nos vies le vendredi et, quoiqu'il m'arrive plus tard, je sais que je porterai les traces indélébiles de ces petits déjeuners au soleil, de ces "moments démoniaques", de ces marches à travers la ville que l'automne teinte de couleurs primaires.

Plus tard, dans la douceur du soir d'automne, j'ai fait du vélo sans les mains, au milieu de la route.
Au retour, le tofu du soir se balançant au bout de mon bras, ces mots dans mon casque m'ont fait sortir le Pléiade d'Henry James de ma bibliothèque.
"Quand certaines conditions sont réunies, il y a peu de moments dans la vie plus agréables que l'heure consacrée à la cérémonie connue sous le nom d'heure du thé. A certaines conditions, qu'on boive ou non du thé, il y a des gens qui bien sûr ne le font jamais, la situation est en elle-même délicieuse. Et celles auxquelles je pense en commençant ce modeste récit, offraient un décor admirable pour un passe-temps innocent. Les éléments du petit festin avaient été disposés sur la pelouse d'une vieille maison de campagne.
Il faut reconnaître que Henry James en fait quelques fois des tonnes pour ressembler à une vieille Anglaise mais j'aime, dans ces premières lignes du livre, son assurance : quand il annonce un modeste récit, il bluffe. La sérénité de qui avance une équation incontestable : tea-time égale paradis.
Si le lecteur a un tant soit peu de jugeote, de maturité, il devine aisément que ce paradis, James va s'employer à le détruire. Un moment aussi parfait ne peut pas durer, même dans une fiction. Ce n'était pas en tout cas sa conception de la fiction."
Julie Wolkenstein. L'excuse.

Et, parce que, issue de ma boîte aux lettres, la jolie carte à tête de loup de Madame Gâ m'a donné envie d'un thé fumé, j'ai mis de l'eau à chauffer.

Parce que, du lundi au dimanche, de jour comme de nuit, c'est en permanence ici, l'heure du thé.