19.11.08

Les balais de l'automne (4)


Hier, j'ai commencé la journée en lui écrivant que je n'avais pas envie de ma semaine, que tout avait des allures de corvée et que je n'avais de l'entrain pour rien, pas même pour aller chez le coiffeur...
Et puis...
Et puis, j'ai relu Perec, ce texte de L'infra-ordinaire et ça m'a donné le courage et l'envie de voir mes journées à venir autrement. Et, comme le soleil s'en donnait déjà à coeur joie, j'ai empoigné mon pola et, avant toute autre chose, j'ai commencé par épuiser, dans les premières heures de la matinée, quelques pellicules d'instantanés et me brûler les mains autour d'un gobelet de thé à Ikebukuro .
Ensuite, tout est allé mieux : j'ai renoncé à hiberner et j'ai traversé toute la journée avec plus de légèreté.

"Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m'ennuient, ils ne m'apprennent rien; ce qu'ils racontent ne me concerne pas, ne m'interroge pas et ne répond pas davantage aux questions que je pose ou que je voudrais poser.
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le décrire ?
Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?
Comment parler de ces "choses communes", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.
Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique.
Interroger ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l'origine. Retrouver quelque chose de l'étonnement que pouvaient éprouver Jules Verne ou ses lecteurs en face d'un appareil capable de reproduire et de transporter les sons. Car il a existé, cet étonnement, et des milliers d'autres, et ce sont eux qui nous ont modelé.
Ce qu'il s'agit d'interroger, c'est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. Nous vivons, certes, nous respirons, certes; nous marchons, nous ouvrons des portes, nous descendons des escaliers, nous nous asseyons à une table pour manger, nous nous couchons dans un lit pour dormir. Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?"
Georges Perec. L'infra-ordinaire.

3 commentaires:

Mélie a dit…

Ce texte est magique :) merci pour la découverte !

(les chéchés) a dit…

les balais de l'automne, j'aime cette poésie douce... et puis je vais partir en quête de ce livre de perec.

akaieric a dit…

Bon sang! Qu'est ce qu'il a raison Georges! Merci à lui et merci à toi gwen de partager tout ça avec nous...