31.12.08

Rentrer les hibiscus

Cette journée s'est étirée merveilleusement. Comme si, généreusement, elle pouvait contenir en elle tous les jours précédents porteurs du même millésime.
A midi, le vent s'est arrêté de souffler et j'étais sur le banc, dans la chaleur du soleil et du gobelet de darjeeling. J'ai fermé les yeux et, à l'intérieur de ce moment si intensément heureux, il y avait tous les autres, oui, ils ont été nombreux à être aussi joyeux, les instants de 2008.

S'il fallait faire le compte, alors ce serait par centaines. Les livres lus. Les kilos de tofu. Les litres de thé. La voix de la Yamanote ("Otsuka, Otsuka desu"). Les mails au réveil ou avant le sommeil. Les autres, qui s'écrivent en technicolor. Les billets ici (un par jour, pas besoin d'être forte en maths pour savoir combien)...

Cette journée a été propice aux rétrospectives et s'occuper des jours, c'est un peu du jardinage.
Parcourir les allées existantes et se demander ce qu'on a envie de bouturer, ce qu'il serait bon d'élaguer, prévoir l'achat de nouveaux pots, l'aménagement d'un nouveau paysage, rentrer les hibiscus.

Et, avant d'éteindre la lumière de cette belle année, voici une promenade en douze clics dans les journées de mes saisons. Comme sauter d'une pierre à l'autre, dans le jardin qu'est Tokyo.
Le jour du sentier du moulin.
Le jour de la ville amoureuse.
Les jours gris et (po)las.
L'autre jour du poisson.
Le jour du serment.
Le jour couleur de pluie.
Un des jours lotus.
Le jour dans les pages.
Le jour à l'envers.
Le jour à flanc de montagne.
Le jour des couleurs de l'avenir.
Le jour où j'ai changé.

30.12.08

Tuesday self portrait (un déjeuner sur l'herbe)

Nous nous partageons la forêt, les corbeaux et moi. Personne d'autre.

Au détour d'un virage, elle est là, cette belle et grande plage de soleil.
Il fait bon y dérouler une natte, lire, planter une paille dans une brique de lait de soja, planter les dents dans une pomme très rouge.

Et puis dormir, un peu.

En oubliant le bourdonnement du zeppelin qui nous tourne autour comme un gros insecte estival.

29.12.08

La saison du mochi

Il ne suffit pas de dire que le ciel est bleu pour rendre compte de la réalité de l'hiver à Tokyo.
Encore faudrait-il pouvoir l'expliquer, ce bleu.
Mais ni les mots ni les photos n'y suffisent.
Ce ciel ne se laisse pas attraper. C'est peut-être pour cela qu'il nous donne une telle impression de liberté.

Je quitte mon balcon sur les coups de deux heures et, sous ce bleu immense, je traverse une partie de la ville à pied.
A l'approche de la nouvelle année, Tokyo est en train de se vider et l'air est sucré aux abords des temples.
Moi, c'est de mochis que je suis insatiable. Ils sont frais, tendres et blancs, parfaitement élastiques.
Mordre dedans avec autant de gourmandise me révèle des penchants cannibales que, jusqu'alors, je ne me connaissais pas.

28.12.08

L'heure anglaise (2)

En glissant entre mes jeunes mains les pages de Lewis Carroll, P.G. Wodehouse et Barbara Pym, en dédiant nos fournées de muffins à Oscar Wilde, ma mère m'a éduquée aux vertus du thé aussi bien que l'aurait fait une gouvernante anglaise !
Il n'y a donc rien de très surprenant à ce que, à présent, mon bonheur ait le parfum du liquide ambré qui colore ma théière et la saveur des pages du Journal de Virginia Woolf que je lis entre les draps en attendant l'arrivée du soleil sur mon balcon.

"Dois-je indiquer : "Il ne s'est rien passé aujourd'hui", comme nous le faisions autrefois dans nos journaux intimes, lorsqu'ils étaient à l'agonie ? Cela ne serait pas exact. La journée est un peu semblable à un arbre sans feuilles : elle comporte toutes sortes de nuances, si on la regarde de près. Mais le dessin général est plutôt dépouillé. Nous avons travaillé; après le déjeuner nous avons longé le fleuve jusqu'à ce grand bâtiment moyenâgeux qui s'avance dans l'eau. C'est, je crois, un énorme moulin. Et nous sommes rentrés de bonne heure, pour que L. puisse prendre son thé avant de se rendre à un comité à Hampstead. Après cela, je suis allée aux provisions et n'ai pas remarqué grand-chose d'intéressant. Mais ce qui a marqué la journée pour moi est une sorte de vague malaise, causé par la personnalité excentrique de Maud, la nouvelle bonne. Lorsqu'on lui parle, elle s'arrête net et regarde le plafond. Elle se précipite dans la pièce, "rien que pour voir si vous êtes là". C'est une femme décharnée, d'environ quarante ans, qui ne reste jamais logtemps nulle part. Je crois qu'elle vit dans la crainte de quelque chose. Elle sursaute quand elle pose les assiettes. Mme Le Grys dit que les bizarreries de Maud la rendent folle à son tour. Elle vient d'annoncer qu'elle est la fille d'un colonel. Je suis sûre qu'elle a la tête pleine d'aberrations, la pauvre. On se demande seulement comment elle s'arrange pour vivre."
Vendredi 29 janvier 1915.

"Nous sommes allés à Londres tous les deux; L. à la bibliothèque, et moi dans le West End, pour vagabonder à la recherche de vêtements. Je suis vraiment en loques. C'est très amusant. L'âge venant, on est moins intimidé par les superbes magasins de vêtements pour dames. Ces grands magasins sont de vrais palais de contes de fées maintenant. J'ai flâné chez Dehenham, chez Marshall, et autres, achetant avec beaucoup de discrétion, à mon avis. Les vendeuses sont souvent très charmantes malgré leurs sineuses torsades de cheveux noirs.
Ensuite j'ai pris le thé, et j'ai erré dans le noir jusqu'à Charing Cross en fabriquant des phrases et en inventant des incidents à développer par écrit, ce qui est, je crois, le meilleur moyen de se faire écraser."
Lundi 15 février 1915.

"Les choses, dans l'ensemble, sont allées mieux, et nous nous sommes glissés dehors pour une demi-heure avant le thé, L. et moi, dans la lumière brun-rouge d'un après-midi venteux. Le Green offre un tès bon échantillon de ciel et d'abres nus, un ou deux vieux nids de freux dans leurs plus hautes ramilles. Retour pour le thé; et Perera est arrivé pour une entretien en particulier. J'avoue que j'ai dû donner l'impression d'être au comble de l'ennui avec Barbara. Elle rapporte les faits exactement comme elle les a reçus -incidents minuscules concernant gouvernantes et maison. Et il ne lui vient jamais à l'esprit de douter de ses propres compétences. Tant de gentillesse, de sincérité, de bon sens, où serait donc l'imperfection ? Et précisément on se représente sa nature comme un marbre sans défaut, inattaquable, insensible à l'atmosphère. Et le temps passait; elle a manqué son train; en a attendu un autre -attendu jusqu'à six heures dix, alors que nous devions dîner à sept, et toute cette fin d'après-midi s'est déroulée pour moi sans autre impression que celle de me tenir sous un robinet coulant goutte à goutte."
Mardi 11 décembre 1917.

"Mais ce que j'aime par-dessus tout à Asheham, c'est que j'y lis des livres. Il est vraiment divin, au retour d'une promenade, de prendre le thé auprès du feu, et puis de lire et lire -mettons Othello, mettons n'importe quoi. Il semble que cela n'ait pas d'importance. Mais à Asheham mes facultés prennent une telle acuité que la page se détache d'elle-même dans toute sa signification véritable et ses mensonges, comme illuminée sous mes yeux; vue dans son ensemble et sa vérité, non plus par à-coups spasmodiques, comme si souvent à Londres."
Jeudi 13 janvier 1918.

27.12.08

En attendant Aldo


J'ai demandé à Théodore : "c'était bien Noël ?".
Il a dit non. Que, même, c'était nul. Qu'il n'avait pas reçu ce qu'il avait demandé.

C'est une peluche que Théodore aurait voulu recevoir.
Un autre jour, il m'avait dit que s'il avait beaucoup d'argent, il savait ce qu'il achèterait.
Des peluches.

Je le comprends.

26.12.08

Aller voir la mer (ou pas)

J'avais regardé l'itinéraire, le changement de gare, j'avais tout préparé, je m'étais préparée.
Mais, au moment où j'ai enfilé mon col roulé, le soleil est venu frapper à ma fenêtre. Et puis les carillons du balcon que le vent secouait en rafales, les vitres qui tremblaient et la chute de 10° depuis la veille m'ont rappelé que ce que je préfère dans la mer en hiver, c'est le moment où on en revient, où on colle ses mains contre une tasse brûlante et où on sent sa peau resserrée, après la morsure du froid.
Alors, j'ai jeté en pluie de la crème de riz dans le lait de soja chaud et une poignée de raisins dans le fond du bol, j'ai remis de l'american breakfast tea dans un sachet sans regarder l'heure.
Et j'ai continué à lire, dans la chaleur d'une flaque de soleil pendant que, dans le livre, la tempête se levait.
Je me suis bien vue rester là toute la journée, me relever de temps en temps pour remettre de l'eau à chauffer, couper des morceaux de pomme et les saupoudrer de kinako si j'avais encore faim.

"Deux grands goélands sont venus gueuler devant les bateaux, le cou étiré, les ailes écartées, tout le corps tendu vers le ciel. Brusquement, ils se sont tus. Le ciel s'est épaissi encore, il est devenu très sombre mais ce n'était pas la nuit.
C'était autre chose.
Une menace.
C'était cela qui avait fait taire les oiseaux.
On m'avait avertie, Quand ça va commencer, il faudra plus être dehors.
Les pêcheurs ont vérifié une dernière fois les amarres des bateaux et ils sont partis, tous, les uns après les autres. Un rapide coup d'oeil de notre côté.
Les hommes sont plus forts quand la mer remonte, c'est ce qui se dit ici. Les femmes profitent de ces moments pour se coller à eux. Elles les saisissent là où ils sont, au fond des écuries ou dans les cales de bateaux. Elles se laissent prendre.
Le vent sifflait déjà . C'était peut-être cela le plus violent, plus encore que les vagues. Ce vent, qui chassait les hommes."
Claudie Gallay. Les déferlantes.

Et puis, finalement, je suis allée voir la mer.

25.12.08

C'est jeudi !


Son adresse à lui, je ne la connais pas. En revanche, c'est dans cette boîte aux lettres que j'écris à Madame Gâ tous les jeudis.

(Rappel des épisodes précédents pour d'éventuels lecteurs de fraîche date : Madame Gâ et moi avons bu des litres et des litres de thé, marché pendant des kilomètres et des kilomètres, nous sommes retrouvées dans de nombreux, très nombreux cafés et y avons passé de longues, très longues heures à parler... pendant les deux ans qu'elle a passés à Tokyo. A présent que nous sommes séparées, nous nous écrivons tous les jeudis et nous postons dans cette boîte aux lettres notre courrier public...)

24.12.08

"Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages..."


Sur mon visage, les rides, les traces du temps.
Et, à l'intérieur, si près du coeur...

"... Si on m'ouvrait moi, on trouverait des plages."
Agnès Varda

23.12.08

Tuesday self portrait (bleu Ikebukuro)


(... et ma couleur rose, évidemment !)

22.12.08

Le jeu des sept différences



Et d'abord, d'où ça vient, cette manie du 7 : les 7 différences, les 7 familles... Des jeux dont on dit qu'on peut y jouer de 7 à 77 ans...

21.12.08

L'heure anglaise (1)

Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, l'ambiance pluvieuse anglaise du Journal de Virginia Woolf s'accorde idéalement avec la lumière chaude d'un balcon tokyoïte à l'heure du thé vert, de quelques biscuits au macha et de la petite musique des carillons que le vent fait danser.
Contrairement à ce qu'on pourrait encore imaginer, si Virginia Woolf est une digne Anglaise qui maîtrise les codes de la cérémonie du high tea, c'est aussi une parfaite rosse dont le porte-jarretelle dégringole !
Si, de ses pages, j'extrayais tous les passages qui m'enchantent, mon journal deviendrait vite une simple copie du sien...

"Il n'y a que les rues bondées qui me permettent de penser -ou plutôt ce que chez une autre personne on appellerait "penser". Maintenant il me faut décider si je remonterai ou non à Londres pour une soirée à Gordon Square, où se produiront les d'Aranyi. D'un côté, je rechigne à m'habiller et à faire le trajet, de l'autre, je sais qu'au premier aperçu d'une fente de lumière dans le hall et au brouhaha des voix je serai aussitôt enivrée et je déciderai que rien dans la vie n'est comparable à une soirée. Je verrai des gens magnifiques et j'aurai l'impression d'être sur la plus haute crête de la plus grosse vague -au centre et en plein déroulement des choses. D'un troisième et dernier côté, les soirées passées à lire au coin du feu ici -à lire Michelet et L'Idiot, à fumer et bavarder avec L. en pantoufles et robe de chambre, ou l'équivalent- sont délicieuses aussi. Et comme L. ne va pas me presser d'y aller, je sais très bien que je n'irai pas. Il faut compter aussi avec la vanité. Je n'ai rien à me mettre pour la circonstance.
(Mercredi 6 janvier 1915)

Sur le chemin de halage nous avons croisé une longue file d'idiots. Le premier était un jeune homme de très haute taille, juste assez bizarre pour qu'on le regardât deux fois, mais pas plus. Le deuxième traînait les pieds et détournait le regard, et puis on s'apercevait que la file était en entier composée de pitoyables débiles à la démarche traînante, dénués soit de front, soit de menton, au sourire imbécile ou au regard d'une fixité sauvage, soupçonneuse. C'était parfaitement horrible. Il est bien évident qu'on devrait les supprimer.
(Samedi 9 janvier 1915)

La Day's, à quatre heures de l'après-midi, est le rendez-vous d'élégantes qui veulent qu'on leur dise ce qu'il faut lire. Je n'ai jamais vu une bande de créatures plus méprisables. Elles arrivent couvertes de fourrure comme des phoques et tout aussi parfumées que des civettes, condescendent à attirer à elles quelques romans du comptoir, et puis demandent languissamment s'il n'y a pas quelque chose d'amusant.
(Mercredi 13 janvier 1915)

J'ai emmené Max faire une promenade au bord du fleuve, mais nous nous sommes heurtés à bien des obstacles : un os qu'il a volé, mon porte-jarretelles qui dégringolait, une bataille de chiens, dont Max s'est tiré avec une oreille déchirée, saignant à profusion. j'ai pris conscience d'être très heureuse, bien que privée de toutes les choses excitantes qui autrefois me paraissaient constituer le bonheur. Nous avons discuté un bon moment à ce sujet, L. et moi. Et aussi du peu de valeur de tout travail humain, sauf dans la mesure où il rend heureux ceux qui l'exécutent. Ecrire à présent m'enchante uniquement parce que j'aime le faire, et me fiche comme d'une guigne, en toute sincérité, de ce qu'on peut en dire. Dans quels océans d'horreur ne doit pas plonger pour récolter ce genre de perles ? -toutefois, elles en valent la peine."

Virginia Woolf. Journal intégral 1915-1941

20.12.08

Les balais de l'automne (8)

Avant de solder l'automne et de faire un grand ménage de printemps pour faire place nette à l'hiver...
Voici les derniers balais de la saison et quelques pages qui voudraient prouver qu'écrivain n'est pas un métier d'avenir...

"Mon fils écrit des poèmes, je n'y comprends rien. Il passe sa journée à écrire des poèmes, comme s'il n'avait rien d'autre à faire, il ne travaille pas, il ne lit pas, il ne voit pas d'amis, il écrit des poèmes et je crois qu'en plus ils sont très mauvais. Mon grand-père aussi avait beaucoup écrit de poèmes, et l'oncle Ferdinand, il faisait le tour de ses propriétés et écrivait des poèmes quand il ne chassait pas ou ne jouait pas du violon; c'était un être tyrannique. Mon grand-père et lui s'écrivaient en frères en vers ou en prose, ou en vers latins, mon fils ne sait pas le latin, il ne sait d'ailleurs rien qu'écrire des vers qui sont, selon toute probabilité, mauvais. Il ne travaille pas, il ne pense pas à son avenir, il n'écoute pas ses frère, il s'enferme et il écrit des vers comme s'il s'agissait là d'une occupation."
Ludovic Degroote. 69 vies de mon père.

"Nul ne peut t'empêcher d'écrire comme nul n'a pu empêcher Uncle Bandi de faire du tennis de table étant jeune, et même de devenir champion de Hongrie de tennis de table, mais encore faut-il, à l'exemple de Uncle Bandi, devenir effectivement champion, sinon à quoi bon écrire, et en tout cas cela ne dispense pas d'avoir un métier, un vrai, car il faut gagner de l'argent, qui ne tombe pas du ciel, qui ne vient pas plus sous la plume que sous la raquette, et il faut pouvoir offrir à soi-même et aux siens une vie décente, il y a même urgence car on ne sait jamais ce qui peut arriver."
Alain Fleischer. Quelques obscurcissements.

"Je n'ai que cinquante ans. Si j'arrête de fumer et de boire, ou plutôt de boire et de fumer, je pourrai encore écrire un livre. Des livres, non, mais un seul livre peut-être.
Je suis convaincu que tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace."

"Il n'a manifesté aucun remords, aucun regret, aucun repentir. Il n'a cessé de répéter : "il fallait que je le fasse, il fallait que je la tue, c'était la seule solution pour que je puisse écrire mon livre."
Les jurés ont estimé que l'on n'avait pas le droit de tuer quelqu'un sous prétexte que cette personne vous empêchait d'écrire un livre."
Agota Kristof. La preuve.

19.12.08

Les temps de l'indicatif

(Je dis "tranche napolitaine" mais je crois n'en avoir jamais mangé. Je ne peux pas penser sérieusement que le machin tricolore qu'on nous servait parfois à la cantine du lycée Voltaire pouvait porter ce nom ni aucun autre tant ses trois couleurs avaient la même absence totale de goût. On aurait pu manger du papier. Et encore : on dit de certaines pages de nos lectures qu'elles sont savoureuses.)

Il m'est venu à l'esprit cette image de tranche napolitaine à propos de cette journée alors qu'elle était en train de s'achever.

Ce matin, c'était tellement joyeux de le dire au passé, ce verbe "me manquer", tandis que le parfum chocolaté de l'american breakfast tea annonçait nos vendredis matins retrouvés.
C'était tellement joyeux que j'ai fait semblant, quelques heures après, d'ignorer ce qui me serrait le coeur malgré le bleu d'Higashi Ikebukuro, malgré mes yeux au ciel.

Plus tard, dans la Yamanote, sur le clavier du téléphone sur lequel je compose plus souvent des mots que des chiffres, l'indicatif est redevenu bien présent pour conjuguer le même verbe.

A la fin du soleil, alors que les balcons se teintent de rose et que les SDF sont déjà enfouis dans leur duvet que n'isolent de l'herbe que quelques couches de carton, alors que je traversais le parc, l'envie m'est venue de baisser les bras et de laisser monter les sanglots.
Car, à cette heure fragile du jour, il ne me restait que la perspective d'un éternel futur pour dire ce p... de verbe qui fait si mal au coeur.

18.12.08

C'est jeudi !


Et dans la boîte aux lettres de nos jeudis où j'écris à Madame Gâ, il est question de magie, de ciel, de saison.

17.12.08

C'était une chouette journée

Sur les coups de cinq heures, on a eu soudain très faim, tous les deux.
Et il a dit : "En même temps, une moitié de pomme de terre et une bouchée d'endives, ça n'a jamais nourri personne."

On retient donc l'adresse pour l'heure du thé plutôt que celle du lunch.
Et il a dit : "A un moment, ce que tu disais ne m'intéressait pas alors j'ai voulu écouter la musique mais elle était à peine audible."

Dans la cuisine, j'ai enfilé ses chaussures d'été. Avoir les pieds nus sur le lino froid n'aurait pas été supportable.
Et il a dit : "Au moins, pendant quinze jours, j'aurai pas à me cailler, juste à porter un petit pull, histoire de."

Pendant qu'on enfilait nos manteaux, j'ai réalisé que je n'avais pas d'idée pour mon billet du jour.
Et il a dit : "T'as qu'à raconter qu'on s'est vus et que c'était une chouette journée."

Sur la route, je lui ai expliqué mes stratégies pour avoir moins froid chez moi sans dépenser trop d'énergie.
Et il a dit : "C'est sûr que si tu n'utilises aucun des appareils dont tu as besoin, tu fais des économies."

Sous son parapluie, il a agité la main. Je me demande si, finalement, il dormira dans l'avion.
A Shinjuku, j'avais vraiment trop froid alors je suis allée boire un thé oolong à Barbara Portable. Et comme j'étais pile sous le chauffage, j'ai fini en tee shirt.

Voilà. On s'est vus et c'était une chouette journée.

16.12.08

Tuesday self portrait (retour à Ueno)


Quelques mois après le rituel des petits déjeuners près des lotus de l'été, je retourne à Ueno.
Le bol d'oden mangé dans le soleil de midi et dans les allées et venues des chats familiers est parfumé de tous les moments passés ici.
Les souvenirs de chaque saison, les souvenirs de chaque conversation se superposent et pourtant, je me souviens de tout.
Je me souviens de vous.

15.12.08

Les balais de l'automne (7)


Oui, décidément, l'automne est tendre avec nous et autorise les pique-niques avec vue sur le Mont Fuji ou, plus simplement, sur le balcon. Et, pour varier parfois de la couleur atone du tofu, c'est le jaune d'un oeuf que j'assortis à celui du kabocha.

"Je lui ai raconté très évasivement que Mme Bonny (qui est la mère de ma future copine et fait aussi office de dame de catéchisme à ses heures perdues) fabriquait des oeufs de forme carrée, à la grande joie de ses enfants et de son mari.
-Voilà, Maman, c'est un petit moule qu'elle a commandé dans le catalogue de la Redoute, un petit moule rouge et carré, qui réceptionne l'oeuf encore chaud mais décoquillé. Mme Bonny presse légèrement, attend quelques secondes, et en sort un oeuf d'une forme carré désopilante.
Je lui ai raconté rapidement que l'usage de ce moule donnait à la maison des Bonny une atmosphère très gaie, le temps de la laisser associer le visage du boucher à un oeuf carré, à des rires et au catalogue de la Redoute.
-Franchement, Maman, il est triste notre catalogue des 3 Suisses, il n'y a pas de fantaisie, tout est marron et besogneux. Tu n'as pas envie de rigoler un peu, de devenir une mère poule qui fait des oeufs carrés ?"
Anne Brochet. Si petites devant ta face.

Par ailleurs, même si je sais que l'automne est la paradoxale saison du grand ménage de printemps au Japon, entendre l'aspirateur de la voisine à 22H30 mais aussi dès 7H le lendemain matin me laisse perplexe...

"J'ai pris la direction du réfrigérateur.
Grossière erreur.
J'ai regardé dedans et je me suis dépêché de fermer la porte en vitesse quand l'espèce de jungle luxuriante qui était à l'intérieur a essayé de s'échapper. je ne sais pas comment les gens font pour vivre comme moi. Mon appartement est si sale qu'il n'y a pas longtemps j'ai remplacé toutes les ampoules de soixante quinze watts par des ampoules de vingt-cinq pour ne plus être obligé de voir tout ça. C'était un luxe, bien sûr, mais je n'ai pas pu faire autrement. Heureusement que l'appartement n'a pas de fenêtres, parce que alors là, j'aurais vraiment été dans la panade.
Richard Brautigan. Un privé à Babylone.

14.12.08

Les dimanches sur une île


Quelqu'un sait si, même sur une île déserte, on distingue les dimanches des autres jours ?
Je serais tentée de dire que oui. Il y a une lumière propre à l'ultime journée des semaines, une ambiance de vacuité qu' aucun divertissement ne peut véritablement combler.

13.12.08

Le pays de l'amour

Elle n'égrenait pas des clichés à propos de la France mais il est décidément difficile de dire "c'est le pays de l'amour" sans être grandiloquent ! Et c'est peut-être parce que j'ai souri qu'elle a ajouté : "chez vous, l'amour explique beaucoup de choses."
Et je ne peux pas lui donner tort.

A la fin, elle m'a demandé : "Et vous, qu'avez-vous emporté quand vous êtes venue au Japon ?"
Alors, j'ai raconté la boîte anti-nostalgie qui est devenue l'exact contraire de sa destination première : un douloureux instrument de mélancolie. A tel point que nous ne l'avons jamais rouverte.
Comment prévoir à l'avance ce qui nous fera du mal, ce qui nous fera du bien et ce qui continuera à nous manquer tout le temps ?

"Quel effet est-ce que ça peut faire, de vivre loin de son pays natal ?
C'est une question que je me pose souvent depuis le mariage de ma soeur aînée.
Est-ce qu'on finit par s'assimiler à cette terre étrangère, comme un personnage de roman ? Ou au contraire, est-ce qu'on garde dans un coin de son coeur le désir de revenir un jour chez soi ?"
Banana Yoshimoto. N.P.

12.12.08

"J'aime étreindre la ville. J'ai de la chance. Pourquoi suis-je passée à travers les mailles du filet ? Parce qu'on n'attendait rien de moi."

Je n'ai jamais oublié la question d'Anne-Sophie : "Est-il possible de souffrir de la routine à Tokyo ?" à laquelle, toujours, je m'efforce de pouvoir répondre non.
Si mes journées se ressemblent, c'est parce qu'elles sont toutes éclairées de la même lumière.

Attablée à la terrasse sur le toit, je ne pense pas aux rides que le soleil qui me force à plisser les yeux creuse dans ma peau.
Sourire a les mêmes conséquences et je ne m'en prive pas davantage.
Le pain est allemand et constellé de graines, le thé est nature et chaud, la chanson résonne.

"Ma vie est sereine mais je rêve de Bruxelles.
Comme une brûlure érotique qui me rendrait plus belle, qui nous rendra plus beaux."

D'ailleurs, est-ce écouter un roman ou lire un disque ? Les pages de frère animal se distillent dans mon après-midi et rendent mon instant d'oisiveté encore plus intense.

"Comme je me sens légère.
Je me sens étrangère.
Etrangère à tout ça.
Mais pas à toi."
Arnaud Cathrine et Florent Marchet. frère animal.

11.12.08

C'est jeudi !


Après les souvenirs de saucisse de la semaine dernière, c'est de plateaux repas dont il est question dans la boîte aux lettres de nos jeudis où j'écris à Madame Gâ.

10.12.08

Les heures douces

Au début, il y a les draps chauds et le ciel que le soleil teint en bleu quand on ouvre les rideaux, pendant que l'eau de la première théière chauffe.
Plus tard, c'est le visage tourné vers le soleil, les manches du tee shirt retroussées et les yeux fermés pour mieux encore profiter de cette chaleur proche de celle d'un mois de juin français.

Plus tard encore, c'est l'heure douce et rose où la fraîcheur qui tombe en même temps que le soir donne des envies de lait chaud, de cannelle et soupe au kabocha, de plaid et de Miles Davis.
Chaque heure porte en elle ses délices.

"car dans ce pays sans archives et sans ruines (sauf des arbres plusieurs fois centenaires ou sur le point de mourir), on transmet le souvenir d'une sensation."
Gérard Macé. Où grandissent les pierres.

9.12.08

Tuesday self portrait (un battement de cil)


Il n'y a rien de très improbable, finalement, à ce qu'on me coure après en criant mon prénom un mardi matin à Shinjuku.
Rien d'improbable à résumer en une demi-heure l'année et demie que nous avons passée sans nous voir, comme ça, sur un trottoir de hasard. Leur vie en France, la mienne ici.
Mais cela m'amuse de penser au papillon qui a battu de l'aile à l'autre bout de la planète pour m'offrir le plaisir de croiser Patrick et Akiko.

8.12.08

La collection permanente


Tout est là : le choix des couleurs, les coups de pinceaux, la composition.

J'ai passé dans ce garage autant de temps que dans une galerie d'art.

7.12.08

les balais de l'automne (6)

J'aime ça. Immergée dans les pages, je suis là où on me transporte.
En pleine campagne Suisse grâce à Ramuz, dans un pays en guerre dans Le grand cahier d'Agota Kristof, entre les couloirs de la fac et celui de l'appartement de la faiseuse d'ange, suivant les pas angoissés d'Annie Ernaux, dans une voiture dont les essuie-glace ne préservent pas des paysages boueux d'Olivier Adam.
Et quand je relève les yeux, le Japon me revient en bloc.
Il n'y a pas d'équivoque : le rouge des feuilles, les cuisses nues des filles en mini-jupes et bottes, les gobelets d'amazaké sur la table, les assiettes de curry ou les bols de ramen, les flancs d'une montagne à midi.
C'est comme être partie en voyage et rentrer chez moi.

"Il faut bien reconnaître que les graveurs japonais possédaient un savoir aujourd'hui oublié. Ils savaient qu'il n'existe peut-être pas de frontière aussi tranchée entre l'âme qui habite la boîte crânienne et l'esprit qui réside dans un arbre, dans les pétales de fleurs emportés par le courant turbulent du fleuve, dans la vue de la forme parfaite d'un mont couvert de neige et dans le retentissement particulier que suscitent l'arbre, le fleuve et la montagne dans le regard fugitif de l'observateur."
Jen Christian Grondahl. Bruits du coeur.

"Ce que je dois à Oe ? La révélation de la grandeur qu'il pouvait y avoir à ne pas se détourner de l'énigme insoutenable de sa vie. Cette vérité aussi : la douleur doit se faire douceur pour ne pas être abandonnée à la mort, à son cri silencieux.
Sans jamais renoncer à la lucidité de son intelligence critique, la vraie littérature doit questionner sans relâche, encore et encore, le lieu tendre de l'affection la plus vraie.
Ce que je dois à Tsushima ? La confirmation émouvante de ce que m'avait révélé l'oeuvre de Oe. La certitude qu'il n'y a jamais de point final au roman de sa vie, que celui-ci rayonne dans toutes les directions du temps, à la fois vers le passé le plus lointain et vers le plus incertain avenir. Cet encouragement aussi : ne jamais désespérer de ses rêves, les suivre en toute confiance jusqu'au point inouï où ils vous reconduisent vers le récit vrai de votre vie."
Philippe Forest. La beauté du contresens.

6.12.08

Ce que je suis devenue

Il y a un parfum de Sologne au Shakujiikoen et l'étang contient les mêmes couleurs diluées que le godet des aquarellistes.

Dans le soleil, je dénoue mon écharpe et je reste immobile jusqu'à la fin de ma (re)lecture.
Je devrais venir plus souvent, picorer un oden à la cafet, entre quelques teckels.

Devant le reflet du temple, je me souviens de ma première visite, au début de l'année incertaine.

Je ne sous-estime pas le chemin parcouru.
Je préfère celle que je suis devenue.
100 yens de moins sur le prix affiché... Est-ce parce que je lui ai souri ? Je me brûle les lèvres en mordant la patate douce grillée.

C'est encore à Ikebukuro que la nuit tombe sur un air de jazz et la fin de l'après-midi a le goût du Darjeeling.
L'automne est rouge et belle et douce. Sereine.

5.12.08

La (presque) fin d'une semaine

Lundi.
Les flancs enneigés du Mont Fuji vus du milieu d'une allée qui porte son nom. La révélation.

Et une conversation qui nous dure tout le voyage. J'aime son rire et pas seulement quand ce sont mes blagues qui le provoquent.

Mardi.
Le thé Wedding imperial infuse dans le lait de soja pendant que je coupe le gâteau carotte-cannelle. Quelques provisions de son regard clair (et clairvoyant) en attendant la suite.

L'après-midi, le thé est fumé, le gâteau est à la banane et purée d'amandes. Il me dit qu'il ne connaît personne comme moi. Et, plus tard, je réalise que moi non plus. Je ne connais personne comme lui.

Mercredi.
Sur la pelouse du Shinjukugyoen, l'heure est aux belles couleurs et il est un peu décalé d'évoquer les réveillons de fin d'année alors que les manches longues de nos tee shirts nous paraissent excessives.

Je ne pensais pas voir un jour le nom de Timothy Findley sur la couverture d'un nouveau livre. Ses cadeaux me touchent toujours tellement.

Jeudi.
N'aurait été son rendez-vous de 14 heures, je l'aurais encore fait répéter les mots que je trouve si bien assortis à sa voix.

Un peu plus tard, c'est l'heure du thé dans le salon de Madame Gâ quand j'y fais une incursion.

Vendredi.
Otsuka-Edogawabashi à pied. Et tant de photos que j'ai l'impression de ramasser plutôt que de prendre.

Les onigiris de l'après-midi font le même effet à mon corps que son chargeur à mon téléphone quand ses batteries sont épuisées.
Je serre mes mains autour du bol.
J'aimerais savoir lire dans le marc du macha quelques bribes de notre avenir.