31.1.09

"Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l'URSS"

"Eux, remarquant ce que nous avions dans la main, dirent : ce que vous avez sur les mains, ce que vous énonciez jusqu'à maintenant, n'est-ce pas ce qu'on appelle poème ? Nous lui en proposâmes un, en lieu de réponse, comme on propose des noisettes ou des pistaches fraîches : Les lampes du et et du on."
Ryoko Sekiguchi. Deux marchés, de nouveau.

Une semaine plus tard, je retourne derrière la baie, dans la lumière d'un ciel de ciment.

C'est une ville dans la ville où les allées ont des nombres en guise de nom.
C'est une forêt dormante car que font les livres lorsqu'on ne les lit pas ? Que font les livres lorsqu'on ne les emprunte pas ? A part sommeiller ou redevenir bois ?

Il y a le plaisir de parcourir ces rues sans être à la recherche d'une adresse et de poser une pile sur le bois clair de la table

A défaut de pouvoir actualiser la date de retour de chacun d'entre eux, j'alourdis les pages de mon carnet de quelques uns de leurs mots.

Hikoboshi et Tanabata :

toshi no koi le désir d'un an
en une nuit ko yoi tsuku shite
asu yori wa s'épuisera et de nouveau
demain tsume no gotoku ya de l'un
pour l'autre le désir waga koi aramu grandira

Jacques Roubaud. Mono no aware (le sentiment des choses). 143 poèmes empruntés au japonais.

Découvrez Alpha!

30.1.09

Our home town (life on Mars)

"Quelques jours plus tard déferla la première véritable vague de froid de l'hiver. L'air dans les interstices entre les immeubles d'Ikebukuro était aussi gelé que du sorbet. En le sculptant avec un couteau on aurait pu obtenir un cygne. Mais les filles, fidèles à leur poste, paradaient jambes nues en minijpe. Respect. Et gratitude."
Ishida Ira. Ikebukuro west gate park.

Ce rendez-vous à Ueno, c'est comme nous retrouver sur une planète commune alors que, dans le reste de notre vie, nous sommes, chacun à notre manière, tellement extra-terrestres.

Il raconte le sang qui coule de sa tête d'enfant. Je lui montre les veines que forme la rouille sur les portes de la ville.
De Yanaka à Ikebukuro, nous zigzaguons et la nuit qui nous surprend sur une balançoire alors qu'il est à peine l'heure du goûter nous donne l'impression que cette journée est plus longue que les autres.

Au café Pause, j'écris mon adresse sur un papier que, j'en suis sûre, il ne perdra pas.
Je ne sais pas de quelle nationalité sera le timbre sur la carte qu'il choisira de m'envoyer.
Italienne ? Française ? Espagnole ? Polonaise ?
Il n'est pas encore parti mais, déjà, j'ai hâte de son retour.

29.1.09

C'est jeudi !


La Yamanote est une ligne de train circulaire qui fait le tour de Tokyo. On peut donc y monter et ne pas en descendre. Et c'est depuis la voiture 4 que j'écris à Madame Gâ une lettre que vous pouvez lire dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

(Rappel des épisodes précédents pour d'éventuels lecteurs de fraîche date : Madame Gâ et moi avons bu des litres et des litres de thé, marché pendant des kilomètres et des kilomètres, nous sommes retrouvées dans de nombreux, très nombreux cafés et y avons passé de longues, très longues heures à parler... pendant les deux ans qu'elle a passés à Tokyo. A présent que nous sommes séparées, nous nous écrivons tous les jeudis et nous postons dans cette boîte aux lettres notre courrier public...)

28.1.09

L'invention de l'ours


Ils sont innombrables les gestes qu'on ne se sait pas en train d'accomplir tellement ils sont anodins, banals, quotidiens.
Mais, depuis qu'il m'a dit qu'il se souvient de moi en train de mettre de l'eau à chauffer, je ne remplis plus la bouilloire de manière aussi machinale.
C'est un geste qui transforme ma journée en perpétuelle heure du thé. Mais pas seulement. En hiver, il la clôt : j'emplis d'eau chaude la bouillotte que je glisse au pied de mon lit avant de me coucher.
Le matin, quelle que soit l'heure de mon réveil, elle est encore tiède, je la serre contre mon coeur et je pense que le polaire est une très belle invention.

27.1.09

Tuesday self portrait (ni le bruit ni l'odeur)


Je ne me souviens plus du thème de l'expo. Je me souviens juste d'une salle dont l'accès était formellement déconseillé aux personnes asthmatiques.
Et, en effet, il y régnait une très forte odeur de foin fraîchement coupé pendant que, sur l'écran, Gérard Philipe et Gina Lollobrigida s'étreignaient sans fin. C'était un exemple de cinéma olfactif.

Ce matin, au moment où j'ai enfilé ma veste, au moment où envisager d'en mettre une autre m'aurait fait arriver en retard, j'ai senti les effluves de la dernière soirée où c'était elle que je portais... Des odeurs dont on n'a pas forcément envie quand on vient de terminer de petit déjeuner...
Heureusement pour vous, malgré les incessants progrès techniques... Les blogs ne sont pas olfactifs !

26.1.09

Ensemble

Nous avons une vie assez commune, nous pourrions très bien cesser d'avoir deux cuisines, deux salles de bain.
Et, avec l'argent économisé, il nous serait possible d'acheter une belle cafetière qui le dispenserait de descendre au distributeur à chaque fois qu'il a envie d'un café.
Certes, ce n'est pas un adepte de l'aspirateur et il préfère vivre les rideaux tirés à l'heure où je déjeune sur le balcon mais, par ailleurs, il ne m'impose jamais ses musiques, ses films, ses jeux, il sait se faire discret.
Et puis, je crois que c'est la première fois que le sommeil de quelqu'un est à ce point calqué sur le mien car, même sans sonnerie, il se lève quand je m'éveille et ne se couche jamais avant que je sois sur le point de le faire. Une nuit même, alors que je m'étais éveillée sans raison, il a chantonné un air de Noël qui m'a apaisée et rendormie...
Quand on se croise dans la rue, il joue à faire semblant de ne pas me voir, comme s'il ignorait qui on est, l'un pour l'autre.

Si son bonnet descendait davantage sur son front, mon voisin ressemblerait à un tueur.
Pourtant, si je voyais ses yeux, je crois que je pourrais deviner s'il dort dans des draps noirs.

25.1.09

L'heure anglaise (6)

Les feuilles ne sont pas toutes de papier.
Il y a aussi celles qui, se dépliant dans l'eau chaude, accomplissent toujours le même miracle de la changer en cette boisson précieuse qu'est le thé.
Hier, au bout de mon bras se balançaient les Carnets de jeunesse de Simone de Beauvoir mais aussi le thé au yuzu, accessoire non superflu pour se plonger dans la lecture des journaux féminins.

"Si je reprenais mes plans pour la rentrée ? D'abord, coûte que coûte, continuer ce cahier. Travailler, et travailler beaucoup : avec ardeur même et plaisir si possible, sans craindre d'être trop intellectuelle : il n'y a plus de danger...
Lire, pas énormément si je n'ai pas le temps, mais lire des livres nécessaires coûte que coûte.
Autant que possible il faudrait parcourir chaque semaine quelques revues : La Revue des jeunes, La revue universelle, La N.R.F., Les Etudes, peut-être d'autres.
Finir Verlaine. Lire Mallarmé, Rimbaud, Laforgue, Moréas.
Tout ce que je peux trouver de Claudel, Gide, Arland, Valery Larbaud, Jammes.
Continuer peut-être Ramuz, Maurois, Conrad, Kipling, Joyce, Tagore, Maurras, Montherlant, Ghéon, Dorgelès, Mauriac.
Aborder Arnoux, Fabre, Giraudoux.
Wilde, Whitman, Blake, Dostoïevsky, Tostoï.
Romain Rolland.
André Chenier. Leconte de Lisle.
Tout le Paul Valéry possible.
S'informer de Max Jacob, Apollinaire, des surréalistes.

Simone de Beauvoir. Cahiers de jeunesse. 17 août 1926.

Au moment où la jeune Simone de Beauvoir prenait de bonnes résolutions pour sa rentrée, Virginia Woolf, elle, alternait les moments de dépression et ceux de rédaction de La promenade au phare.

"Mon propre cerveau
Voici, en miniature, toute une dépression nerveuse. Nous sommes arrivés mardi. Me suis écroulée dans un fauteuil, à peu près incapable de m'en arracher. Tout insipide, sans goût, sans couleurs. Un immense besoin de repos. Mercredi, un unique souhait : être seule au grand air. L'air délicieux. Evité de parler, n'ai pas pu lire. Ai pensé à ma faculté d'écrire, avec vénération, comme à quelque chose d'incroyable, appartenant à quelqu'un d'autre, dont plus jamais je ne jouirai moi-même. Tête complètement vide. Dormi dans mon fauteuil. Jeudi : absolument aucun plaisir à vivre, mais me sens peut-être un peu mieux accordée à l'existence. en tant que Virginia Woolf, caractère et particularités complètement anéantis. Humble et modeste. Difficulté à trouver mes mots. Lu machinalement, comme une vache rumine. Dormi dans fauteuil. Vendredi, sentiment de fatigue physique, mais légère activité cérébrale. Recommencé à enregistrer les choses. Fait un ou deux projets. Impossibilité de construire des phrases. Peine à écrire à Lady Colefax. Samedi (aujourd'hui), plus lucide, plus légère. Pensé que je pourrais écrire, mais ai résisté, ou trouvé que c'était impossible. Une envie de lire de la poésie m'a prise vendredi. Cela me ramène au sentiment de ma propre individualité. Lu un peu de Dante et de Bridges, sans chercher à comprendre, mais en ai tiré du plaisir. Je commence maintenant à vouloir écrire des notes, mais pas encore de roman. Aujourd'hui pourtant mes sens se réveillent. Pas de pouvoir créateur encore; aucun désir d'insérer des scènes dans mon livre. Retour de ma curiosité littéraire : ai envie de lire Dante, Havelock Ellis et l'autobiographie de Berlioz; et aussi de fabriquer un miroir avec un cadre de coquillages. Il est arrivé parfois que ces phénomènes se soient étendus sur plusieurs semaines.

Virginia Woolf. Journal intégral. Eté 1926.

24.1.09

Paysages du samedi


Plus que le rendez-vous noté dans mon agenda, c'est la perspective de ce paysage qui m'attire là une fois par mois.

Car je sais que, par tous les temps, du haut de la passerelle, la vue est belle et le ciel d'aquarelle.

Une heure plus tard, le café Miyama est un observatoire et j'y bois un macha au lait de soja.

Derrière les baies vitrées, la lumière change et les nuages voyagent comme de gros paquebots lents. Les heures sont douces, bercées par le ronron de la photocopieuse, à peine troublées par le bruit des pages qu'on tourne.

La nuit s'annonce quand le train s'arrête avant la gare de Shibuya. Derrière les vitres du café Pile, ils sont trois amis dans le canapé chocolat. Je les regarde et je pense : un autre samedi, c'était moi, c'était nous, à cet endroit.

23.1.09

Sunshine for ever

Un jour, j'étais chez elle, à l'heure où les enfants se précipitent sur le gâteau sorti du four. Et j'ai motivé mon refus afin qu'elle n'insiste pas.

Dans son "tu as de la chance !", j'ai entendu tous les échecs que les bonnes résolutions rendent encore plus amers. Ces tablettes qu'elle finit après s'être promis de n'en manger qu'un morceau.

Ce n'était ni l'heure ni le lieu de me lancer dans un grand débat mais je suis bien persuadée qu'il est socialement fédérateur d'aimer le chocolat.
Et je ne sais pas s'il faut féliciter les gens de la chance qu'ils ont d'être asociaux !!!

Et puis, je n'ai aucun mérite à faire fondre une pleine casserole de chocolat sans y tremper le doigt ou à ne pas ruiner quinze jours d'efforts diététiques en ne sachant pas refuser un éclair : je n'aime pas ça, c'est tout.

Elle m'a marquée, cette anecdote -sa réaction- parce que ça fait plus d'un an, quand même...

Ce midi, j'avais le visage tourné vers le soleil, les yeux clos sur la terrasse de Sunshine.

A la fin du récit des itinéraires compliqués auxquels les heures d'ensoleillement dont je ne peux pas me dispenser m'obligent.
De la frustration démesurée que j'éprouve à travailler un jour bleu et à me reposer quand il pleut.
De l'organisation de mes journées qui dépend de la météo.
Du répit que m'ont procuré les trois jours gris qui se sont succédés...
A la fin de mon récit, donc, il était l'heure d'y aller.

De toute façon, la pluie avait cessé, les nuages s'étaient effilochés et je savais que les bancs, sur la terrasse de Sunshine, seraient secs parce qu'ils sont bien orientés.
De toute façon, je n'aurais pas pu rester !

A la fin de mon récit, le diagnostic est tombé : "Ah ouais, tu es vraiment photo-dépendante, alors !"

Oui, vraiment ! Et si vous ne l'êtes pas, vous... Alors... VOUS AVEZ DE LA CHANCE !!!!

22.1.09

C'est jeudi !


C'est vrai, même si elle habite loin de chez moi, c'est une chance très précieuse d'avoir une amie comme Madame Gâ.
Mais ne vous sentez pas indiscrets en cliquant ICI : notre correspondance du jeudi est visible par tous et de partout dans le monde.

21.1.09

Blondeur des brunes

Comment dire ?
Evidemment, je n'ai pas oublié.
Mais, ici, la bière est toujours blonde et les femmes toujours brunes.
Alors, quand il m'a demandé en cherchant ses mots ce que je préférais comme bière, ça m'est revenu brutalement.
Comme une chose que j'avais oublié que je savais.
Et j'ai souri de l'ambiguité de ma question sans la lui expliquer : "Et toi ? Tu préfères les blondes ou les brunes ?"
Et, sans savoir à quoi, il a répondu comme beaucoup d'hommes, comme Aragon.

"Et brusquement, pour la première fois de ma vie, j'étais saisi de cette idée que les hommes n'ont trouvé qu'un terme de comparaison à ce qui est blond : comme les blés, et l'on a cru tout dire. Les blés, malheureux, mais n'avez-vous jamais regardé les fougères ? J'ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J'ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d'hystérie. Blond comme l'hystérie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser. Sur la palette des blondeurs, je mettrai l'élégance des automobiles, l'odeur des sainfouins, le silence des matinées, les perplexités de l'attente, les ravages des frôlements. Qu'il est blond le bruit de la pluie, qu'il est blond le chant des miroirs ! Du parfum des gants au cri de la chouette, des battements du coeur de l'assassin à la flamme-fleur des cytises, de la morsure à la chanson, que de blondeurs, que de paupières : blondeur des toits, blondeur des vents, blondeur des tables, ou des palmes, il y a des jours entiers de blondeur, des grands magasins de Blond, des galeries pour le désir, des arsenaux de poudre d'orangeade. Blond partout : je m'abandonne à ce ptichepin des sens, à ce concept de la blondeur qui n'est pas la couleur même, mais une sorte d'esprit de couleur, tout marié aux accents de l'amour. Du blanc au rouge par le jaune, le blond ne livre pas son mystère. Le blond ressemble au balbutiement de la volupté, aux pirateries des lèvres, aux frémissements des eaux limpides. Le blond échappe à ce qui définit, par une sorte de chemin capricieux où je rencontre les fleurs et les coquillages. C'est une espèce de reflet de la femme sur les pierres, une ombre paradoxale des caresses dans l'air, un souffle de défaite de la raison."
Aragon. Le paysan de Paris.

Heureusement, mes cheveux courts et incolores rendent mon amour poète. Sinon, je courrais aussitôt chez le coiffeur.

20.1.09

Tuesday self portrait (la gigouillette)

Il y a eu cette fête, en CM1 (pour qui était-ce la fête ?). Un grand nombre d'écoles se réunissaient dans le stade de la Source pour danser. Nous avions répété maintes fois sur un air qui s'appelait "la gigouillette".
Le jour dit, nous avions traversé la Source à pied. Les filles portaient une jupe rouge ou orange (moi : orange. J'aurais préféré rouge), un tee shirt blanc, des chaussures blanches. Les garçons avaient, noué autour du cou, un foulard de la couleur de la jupe de leur cavalière.
Ma mère avait pris beaucoup de photos de la fête.
Sur une seule d'entre elles, j'apparais en pied. Toutes les autres sont des photos... de pieds.
Cet épisode a forgé à ma mère une réputation de piètre photographe.
Par la suite, j'ai fait l'expérience plus d'une fois de ces appareils photo à l'objectif décentré qui rendent les prises de vue aléatoires.
A présent, munie d'un appareil numérique, ma mère a moins d'excuses !

Peut-être est-elle influencée par certains de mes autoportraits qui, eux-mêmes, parfois, sont un clin d'oeil à la gigouillette...

(et pour celles et ceux qui, contrairement à moi, sont libres le jeudi et ont envie de s'afficher ce jour-là, vous pouvez aller voir ici.)

18.1.09

Un rude hiver

"La mer était la même qu'au premier jour, et le temps d'hiver, d'automne plutôt selon les astronomes, d'un automne très avancé, très sclérosé, perclus et liquéfié à la fois. Il pleuvait bien doucement, mais méthodiquement, industriellement, et courant du rivage à l'horizon le vent gonflait des vagues que crevaient finalement les galets."
Raymond Queneau. Un rude hiver.

Quelle est l'utilité de l'hiver, une fois que Noël a régalé les papilles et que le premier janvier a offert ses révélations en matière d'horoscope annuel ???
A défaut de pouvoir être un ours et aller se coucher dans une caverne pendant trois mois, on renouvelle seulement le motif de la housse de couette, la couleur des draps. Pour peu qu'il neige dehors, la quinzaine du blanc porte alors bien son nom.
Et, pour les rares heures pendant lesquelles on a envie de quitter son lit, il y a les soldes, histoire d'acheter une nouvelle paire de boucles d'oreille qui fera se tourner les têtes.
Que reste-t-il à faire de l'hiver sinon attendre qu'il finisse ?

Ce matin, on aurait pu croire à une journée égarée dans le calendrier, à une réelle incursion du printemps en plein mois de janvier. Une journée à déboutonner son manteau.
Mais, en haut de la côte, j'ai tourné la tête et, en ne distinguant qu'avec peine les contours du Mont Fuji embrumés par la clémence des températures, je me suis souvenue qu'il n'y a jamais plus transparent ni plus bleu que ces jours d'hiver à Tokyo et qu'en avril, le terrain de base-ball détrempé ne permettra pas aussi souvent les pique-niques.

Alors ce soir, en descendant du train, j'ai resserré mon écharpe et j'ai pensé que le printemps pouvait encore attendre un peu : je n'ai pas encore épuisé tous les plaisirs de l'hiver.

L'heure anglaise (5)

Cela commence à ressembler à un rituel, de passer un peu de mes dimanches avec Virginia Woolf. Aujourd'hui, je transporte son Journal intégral au café où la chaleur est douce, la trompette est celle de Miles et le thé est anglais.
Beaucoup de révisions sur les tables voisines mais aussi des copines qui se retrouvent et s'aperçoivent qu'elles n'ont pas tant de choses à se dire. Et qui regrettent ce rendez-vous, peut-être.

"J'hésite à écrire du mal de mes invités, et d'ailleurs je n'en pense pas non plus -pas exactement. Je fais allusion, un peu par la bande, à quelque chose de grossier, de terre à terre et d'insensible chez Karin. On ne lui trouverait jamais beaucoup d'intérêt mais rien non plus de méprisable ni de mesquin. Non, mais c'est une Américaine douée, qui obtiendra tout ce qu'il est possible d'obtenir sans peine, et rien de ce qui en exige. J'ai dans l'idée que lorsqu'un sens fait défaut, un autre travaille pour deux et, quant à elle, elle se bourre de nourriture. Elle n'a aucun vice caché. Serait-elle plus intéressante si elle en avait un. Elle n'est pas bête, ni ennuyeuse ni ordinaire. Bien au contraire, elle est brillante, douée et stimulante. Elle pousse Adrian à lire des livres d'économie, le pousse même à apprendre la sténo qui, dit-elle, est très utile pour une carrière littéraire. Elle a décidé qu'il ferait carrière."
Samedi 24 août 1918.

"Elle a un véritable appétit d'écolier. "Quel rôti!" s'est-elle écriée aujourd'hui. "Est-ce que vous ne vous sentez pas transportés à la vue d'un beau morceau de viande ?" Les repas apportent un peu de piquant à sa vie, comme en apportent dans la mienne, disons, le courrier ou les journaux. J'imagine fort bien Karin pensant avec un petit frisson de joie que, par exemple, demain est le jour du boeuf gros sel, comme il m'arrive à moi de penser que je recevrai peut-être mon livre du Times ou une lettre intéressante."
Mardi 27 août 1918.

"Les Fisher-William, à eux deux, possèdent tout juste le cerveau d'un lapin de taille moyenne. Pourtant ce fut la respectabilité qui m'a pesé, et non l'absence d'intelligence.
Gilbert était remarquable de propreté; une solide gouvernante devait le passer à la pierre ponce tous les matins. Il est si discret, si sensible, si effacé et irréprochable dans ses goûts que l'on a peine à imaginer qu'il ait l'audace de procréer. Quant à elle, c'est un petit bout de vieille dame extrêmement énergique, un peu cavalière, et très aristocrate dans sa désinvolture , en même temps que gentille, pointilleuse, raffinée."
Lundi 28 octobre 1918.

17.1.09

"Only boring people get bored"

Obéir à ses injonctions ("open your mouth, close your mouth") ne nécessitait aucune concentration alors, j'ai pu, pendant près d'une heure, penser à autre chose. D'ailleurs, c'est simple, je n'étais pas là. J'ai fermé les yeux et, petit à petit, le bruit des outils m'a évoqué un atelier de menuiserie puis ne m'a plus évoqué quoi que ce soit. Et je suis revenue au film de la nuit.

L'inconvénient des rêves, c'est qu'ils n'existent pas en dvd.
J'ai tenté de multiples retours en arrière et arrêts sur image pour m'assurer qu'il n'y avait rien sur les murs du salon. J'ai fini par m'y résoudre : je ne suis pas du genre à entrer chez les gens sans remarquer le pêle-mêle de photos estivales dans l'entrée, les souvenirs de voyage sur la console, les dessins des enfants aimantés sur le frigo... S'il y avait eu quelque chose, je l'aurais vu... C'est peut-être de là que venait cette impression de froideur : ce salon gigantesque, un canapé d'angle qui ne suffisait pas à le meubler et ma présence qui ne comptait pour personne.
Quand la femme m'a tourné le dos, j'ai pensé qu'elle était plus mince que ce qu'on m'en avait dit et qu'elle était très bien habillée. Ses cheveux courts avaient été décolorés quelques semaines auparavant car leur teinte virait au jaune et les racines foncées étaient très apparentes. Elle n'avait besoin de rien dire pour que je sache sa désapprobation passive, son inamicale résignation.
Elle était peut-être à la fenêtre -sans rideaux, la fenêtre : cet appartement semblait, décidément, tellement inhabité- alors que l'homme était sur le parking. Mais il n'avait pas l'air de s'en soucier.
J'ai compris que ses certitudes étaient dorénavant inébranlables, que rien ni personne ne pourrait plus faire dévier sa volonté.
Quant aux enfants, ils n'ont fait que passer.

A la fin, il m'a tendu un miroir et j'ai souri. Je lui ai dit merci, en anglais.
Avant que je parte, il m'a montré ma photo en gris et blanc.
On a beau sourire, ça ressemble toujours à une grimace sur les radios.

16.1.09

Read this fucking book

« Ce que je préfère c’est un livre qui soit au moins de temps en temps un brin marrant. J’ai lu un tas de classiques, Le retour au pays natal et tout, et j’aime bien, et j’ai lu aussi des livres de guerre et des polars. Mon rêve, c’est un livre qu’on arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super-copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. Mais ça n’arrive pas souvent. J’aimerais assez téléphoner à Karen Blixen. Et à Ring Lardner, sauf que D.B. m’a dit qu’il était mort. Tout de même, prenez ce bouquin, Servitude humaine de Somerset Maugham. Je l’ai lu l’été dernier. C’est pas mal et tout, mais j’aurais pas envie de téléphoner à Somerset Maugham. Je sais pas, c’est le genre de mec que j’aurais jamais envie d’appeler. J’appellerais plutôt le petit père Thomas Hardy. Son Eustacia Vye, elle me plaît. »
J.D. Salinger. L'attrape-coeurs.

A la fin de la conversation, Yasuaki a dit : "l'amour, c'est difficile".
Et, ça se trouve, c'est en effet un peu compliqué quand, comme lui, on aime secrètement la fille qui a la clef de la cage des koalas.

A Yasuaki et aux autres qui aiment la fille qui ne les regarde pas, je voudrais dire : "read this fucking book".
Lisez-le et je parie n'importe quoi que vous aurez envie que Daniel Handler soit votre super-copain, vous rêverez d'avoir son numéro de téléphone pour l'appeler à n'importe quelle heure et lui dire : "hey, tu sais quoi ? Elle m'a souri."

"Je crois bien que le caramel à l'eau salée se fait avec de l'eau salée et un bon paquet de sucre, qu'on fait filer, ou qu'on roule, ou qu'on pétrit, jusqu'à le transformer en une substance que l'on vendra sur le bord de mer. Si vous vous trouvez à San Francisco, où a lieu cette histoire d'amour, vous pouvez filer vers le sud et voir comment on le fabrique dans une cahute, à côté de celle où on vend des tickets et de celle où l'on fait frire des calamars avant de vous les donner contre de l'argent. Vous n'avez qu'à suivre les panneaux. Vous ne pouvez pas les rater.
C'est ça l'amour, un caramel à l'eau salée. Presque tout le monde en a déjà goûté. Quelqu'un vous en offre un jour où n'avez rien à faire , et il y a de grandes chances pour que vous l'acceptiez et le mettiez dans votre bouche. Le caramel à l'eau salée nous rassemble tous, mais qui le considère comme son plat préféré ? Qui l'aime plus que tout au monde ? A peu près personne. Alors pourquoi en mange-t-on ? Cette histoire d'amour porte sur ce genre d'amour, cette chose douce et sucrée qui existe sans qu'on n'ait rien demandé et que tout le monde mange dans le même paquet."
Daniel Handler. L'amour adverbe.

(Aux autres, à tous les autres, à ceux qui aimeraient ne jamais avoir à descendre du train dans lequel la foule leur permet d'encore plus se serrer contre l'être aimé, je le conseille également, ce livre adverbe...)

15.1.09

C'est jeudi !


Chaque semaine, il est question du sens de la vie dans la boîte aux lettres des jeudis et, aujourd'hui, c'est à propos d'amour et de Dieu que j'écris à Madame Gâ.

14.1.09

Un matin à Shinjuku

Il y a celle qui pense que son pantalon la boudine un peu.
Il y a celle qui a failli manquer son train parce qu'elle a changé trois fois de paire de boucles d'oreilles avant de se décider pour celle-là.
Il y a celui à qui les chaussures neuves blessent les pieds.
Il y a celle qui pense que sa mère avait l'air triste et distraite quand elle lui a dit au-revoir ce matin.
Il y a celui qui, dans la programmation aléatoire de son baladeur, entend la musique que sa femme lui a fait écouter lors de leur première rencontre.
Il y a celle qui se sent jolie aujourd'hui et qui espère qu'elle croisera quelqu'un qui le remarquera.
Il y a ceux que font rêver les possibilités de voyages évoquées sur les affiches.
Il y a celui qui sait que, dans quelques semaines, il connaîtra par coeur ce trajet vers l'hôpital qu'il effectue pour la première fois aujourd'hui.
Il y a celui qui, en marchant, écrit un mail à son frère dont -l'alarme de son téléphone le lui a rappelé- c'est l'anniversaire.
Il y a celle qui vient d'entamer un régime et qui pense que les effluves de petits pains au chocolat sont cruelles même si elles ne sont pas naturelles.

7H55. A Shinjuku, nous sommes des milliers dont la vie est unique.

13.1.09

Tuesday self portrait (s'exposer)

"Ses biographes ne parlent pas, ou très peu, de la photographie. Ils disent qu'elle se fait photographier, mais ils le disent en passant et ne s'y arrêtent pas, ils n'y accordent pas d'importance particulière tandis que je réduirais volontiers la vie de cette femme à la séance chez le photographe. Lieu unique, unité du temps de pose. Une femme vient chercher ce qu'elle est, elle se dépêche de retenir ce qu'elle est, de l'enfermer, elle va au photographe comme on va au dépôt, elle ne se préoccupe pas de savoir ce qu'elle fera des photographies, bien sûr, elle les offrira comme ils font tous, cette rage des portraits qu'ils ont, les cartes de visite, les albums sur la table du salon, les envois, "chère amie, merci pour les portraits, ils me feront passer le temps moins long sans vous", "chère amie, j'ai mis votre portrait sur ma table de chevet, je vous regarde en m'endormant", etc., bien sûr, elle se satisfait de ces hommages, elle fait très bien semblant d'y croire, mais ce n'est pas pour ça qu'elle se fait photographier, elle se fait photographier pour construire, sous l'apparence de la frivolité, ce que Poe appelait "l'habitacle de la mélancolie". Retenir, silencieusement retenir."
Nathalie Léger. L'exposition.

Parce que la comtesse de Castiglione avait choisi un photographe effacé qui ne se mêlait pas de lui dicter la moindre pose et qu'elle lui imposait ses costumes et ses attitudes, les portraits qui furent faits d'elle sont parfois considérés comme les premiers autoportraits de l'histoire de la photo.

Je me doute que ce que je donne à voir de moi tous les mardis finit par former un portrait.
Mais je suis mal placée pour savoir s'il me ressemble vraiment.

12.1.09

Natures mortes

L'autre fois encore, la voyant cadrer l'ordinaire gâteau au chocolat contrastant -il est vrai- joliment sur l'assiette blanche, je me suis demandée si ce cliché appartenait à une collection. Après tout, pourquoi pas : une série "gâteaux au chocolat" ou un travail sur le noir et blanc ou alors une habitude de photographier TOUT ce qu'elle mange.
Je le consigne bien dans un carnet, moi.

Et puis, ce midi, en posant les éléments de mon repas coloré sur ma table à thé laquée, je me suis dit que photographier nos assiettes, c'est un peu nous inscrire dans la tradition de la "nature morte au compotier" tellement pratiquée par les peintres, des Flamants à Picasso en passant par Cézanne ou Braque...
Gâteau, fruits, sobas, mochis, crème blanche...
Tout est aussi "nature morte" que la vraie nature morte.

11.1.09

l'heure anglaise (4)

Plus je lis le Journal de Virginia Woolf, plus je me demande si j'aurais aimé boire le thé avec elle... Qu'aurait-elle écrit de mes vêtements ou de ma conversation dans ses pages ???

Après le réveil au lait de soja et à l'heure anglaise, j'ai quitté Virginia pour un thé fumé et un gâteau à la banane et à la purée d'amande au soleil.

Plus tard, il y a eu des considérations vestimentaires -justement- mais aussi littéraires, une conversation longue à peine entrecoupée d'un voyage en train, de trouvailles dans les poubelles (deux tables à thé en laque orangée) et d'une sieste, la tête entre les bras.
L'heure du thé peut se prolonger toute la journée le dimanche. Et de manière plus douce que pour Virginia.

"Notre dîner de ce soir a été un sacrifice de bonne taille au devoir. Jamais nous n'avions autant aspiré à passer la soirée seuls; avec des livres à lire, et le sentiment d'avoir déjà beaucoup parlé cette semaine. Mais, vers sept heures et demie, Clara Woolf est arrivée, et les Whitham, que nous avions invités avec l'idée de leur faire un sort en même temps, pour limiter à l'inévitable le gaspillage."
Vendredi 25 janvier 1918.

"Au Club j'ai trouvé...-faut-il que je répète encore une fois cette vieille scène ? Je crois que le petit pain avec miel que j'ai pris au lieu de mon toast habituel, m'a plus intéressée que les bribes de Scurr, Cousins et Marshall, ou que la pâle solennité de commande de cette pauvre Alix."
Jeudi 11 avril 1918.

"Il y a un grave défaut dans le plan de ce journal, qui prévoit que je devrais le rédiger après le thé. Lorsque des personnes viennent pour le thé, je ne puis leur dire : "Voyons, attendez un instant que je note ce qui vous concerne." Quand elles s'en vont, il est trop tard pour écrire. Et, ainsi, au moment même où je brasse des pensées et des descriptions destinées à cette page, j'éprouve le sentiment décourageant qu'il n y a pas de page; mes pensées se répandent sur le plancher. Et, vraiment, ce n'est pas facile d'éponger pour les rassembler à nouveau."
Jeudi 18 avril 1918.

"Ensuite, autobus et métro jusqu'à Hampstead, pour un thé chez Margaret. J'ai failli prendre Lilian, presque allongée sur un coussin vert, pour un chat persan. Janet était là, drapée dans un de ces classiques tissus rouges qui offrent aux personnes de Hampstead un compromis entre l'art et la mode. Margaret terriblement grasse et épaisse; tout en noir."
Vendredi 3 mai 1918.

"Roger devient plus égoïste, ou du moins je m'en aperçois chaque jour davantage. Ses plaintes étaient mieux fondées que les miennes. Tous les gens intéressants sont égoïstes sans doute, mais l'être n'est pas souhaitable en soi. A en juger par le bruit il y avait quantité de lapins belges et des enfants en proportion égale, mais ceux-ci ont des chambres et un horaire à eux, et Mrs B. veille à ce qu'ils s'y tiennent; on ne les voit jamais."
Mardi 28 mai 1918.

10.1.09

Tout un monde

"On lit un de ces livres dont une ville est le lieu et puis, débarquant un jour pour la première fois, on constate que rien n'a changé depuis qu'on n'y est jamais allé."
Oliver Rolin. Mon galurin gris.


La Havane, par exemple.
Il y a bien peu de chance que j'y pose le pied un jour puisqu'à mon âge, je n'ai toujours pas commencé à voyager et que, si je prenais l'avion, ça ne serait pas tout de suite dans cette direction.
Et pourtant, quand Olivier Rolin dit de l'uniforme de la liftière de l'hôtel qu'il est "havane", j'en ai une représentation très précise.
Mais il est à parier qu'un autre que moi inclurait d'autres nuances dans ce coloris.

Les couleurs sont tellement indénombrables et si multiples dans une seule de leur catégorie.
Combien de bleus ?
Combien de verts ?
Toutes ces teintes nous font hésiter pour les définir, nous font renoncer à les définir, nous font les désigner par une expérience qui nous est propre.
Le bleu que je nomme "Ikebukuro" est peut-être "Helsinki" pour d'autres.

Un jour où je regardais les arbres qu'il était en train de rincer, E. m'a fait remarquer que les tirages noir & blanc des Japonais sont beaucoup plus gris, beaucoup plus dilués que les nôtres.
Ces noms de couleurs, ces contrastes plus ou moins affirmés... Sont aussi notre façon de dire le monde.
A l'époque où j'étais, moi, dans le labo, c'était sur les grades les plus durs des papiers que je révélais mes clichés.
Mes tirages étaient aussi tranchés que mes opinions.

("Toutes les nuances du vert : dans les forêts de bambous, dans l'écume de la mousse et dans un bol de thé, comme entre les courbes du relief que dessinent les rizières".
Gérard Macé. Choses rapportées du Japon.)

9.1.09

Les jours sans (c'était hier)

Il y a des journées que je vis sans peine et où je m'acquitte sans effort de ce qui est à faire et où tout se passe comme il se doit.
Ces journées où je n'ai pas à courir après les trains, où tout le monde me sourit autant que d'habitude.
Ces journées où le temps passe à sa juste mesure et où le soleil vient me réchauffer au moment où je m'adosse à la fenêtre.
Mais ce sont des journées qui, si j'avais à les résumer, ne m'inspireraient que : "et alors ?", "et puis ?" "ça ne peut pourtant pas être que ça, la vie".
Des journées sans enthousiasme particulier. Mais sans davantage de déplaisir.
Des journées qui pourraient ne pas exister.
Des journées dont je reconnais la fadeur au moment où je les vis mais dont j'ai l'implacable confirmation le soir, quand je constate que je n'ai pris aucune photo.

8.1.09

C'est jeudi !


A défaut de pouvoir m'installer sur un banc avec Madame Gâ, c'est dans notre boîte aux lettres des jeudis que je lui écris.

7.1.09

Mono-maniaque

(... j'ai bien fait, ce jour-là, ce jour de printemps, d'acheter un seul jean et pas deux alors que, par deux, ils étaient moins chers.
Si je suis retournée en acheter un hier, ce n'est pas parce qu'il est trop usé mais parce que, entre temps, il est devenu trop grand. Avoir deux jeans de trois tailles supérieures à la mienne, ce ne serait pas ce qu'on appelle avoir fait une bonne affaire...)

Rentrant chez moi le bras alourdi de l'éternel litre de lait de soja et du jean identique à l'ancien, j'ai pensé à Jérôme D.
Mangeant exclusivement des carottes râpées l'hiver et des tomates mozarella l'été (oui mais, attention, cultivant ses tomates, se fournissant chez le meilleur fromager de Tours et allant en Italie acheter son huile d'olive...), il portait en toute saison les mêmes jeans qu'il achetait en plusieurs exemplaires, ainsi que des tee shirts blancs à la coupe toujours identique.
Etre mono-maniaque libère l'esprit, j'en suis bien convaincue ! Si je l'étais encore davantage, j'aurais plus de temps à consacrer à la lecture.
Et c'est Olivier Rolin qui, actuellement, voyage dans mon sac et m'instruit de lieux que -maintenant je le sais- je ne verrai jamais autrement que dans les livres.

"Ce n'est pas parce qu'il y a, dans les villes, des bibliothèques, les yeux morts des statues, des parcs que l'automne peint des couleurs du raisin mûr, des mouvements sociaux, les édifices de la presse quotidienne, non ce n'est pas pour ces raisons qu'elles sont les lieux où l'on écrit des livres. Je m'exprime ici à titre strictement personnel, mais enfin il y a longtemps que dans nos campagnes on ne croise plus de bergères, et comme, en plus, on n'y fait plus la guerre, cela ne facilite pas le travail des écrivains rustiques. Je ne veux pas prétendre que toute la littérature tourne autour de la rencontre d'une inconnue ou de la mort sur un champ de bataille, je connais comme tout le monde des exemples qui me démentiraient, et même des quantités. Mais enfin, tout de même... cela compte. Et, dans une époque qui ménage si peu de risque, une si faible part d'émotion, ce que nous savons désormais de la violence du hasard, c'est seulement la catastrophe inopinée d'un regard qui nous le fait éprouver (je sais ce que ces phrases dénotent de peu "moderne" : inutile de dire que cela m'est égal). Enfin, ces visages d'aventure, ces charmes impromptus qui à peine laisseront au coeur le temps de broncher qu'ils auront disparu, qui pourront, aussi bien, mener à tout et même à la mort, font des villes les espaces romanesques par excellence, les grands théâtres des masques et de la foudre, ou, si l'on veut le dire autrement, les seuls lieux du monde où d'assez nombreux Don Quichotte peuvent se balader, équipés de pied en cap, sans se faire particulièrement remarquer."
Olivier Rolin. Mon galurin gris.

6.1.09

Tuesday self portrait (vue du ciel)


N'est-il pas démodé de vouloir tricher sur son âge ?
Y a-t-il encore des femmes dont le mari découvre qu'elles leur a toujours menti sur leur année de naissance ???
Et quand on sait qu'il est impoli de demander son âge à une femme si on n'est pas sûr de son extrême jeunesse, n'est-ce pas aussi désagréable que de se voir offrir un siège dans le train que de ne plus jamais avoir à répondre à cette question ???

5.1.09

A rebours

Il est encore meilleur d'être celle qui ne travaille pas quand les autres sont en cravate.
Tokyo a retrouvé son rythme habituel, sa densité quotidienne.
Mais descendre de la voiture 5 à Yoyogi à 9H20 un lundi me procure des sensations d'école buissonnière.
Je déleste mon sac d'un livre et d'un magazine de science-fiction. Mon horoscope navrant fait résonner son rire dans les couloirs de Shibuya. Elle rira moins du 12 juillet au 29 août, c'est écrit noir sur blanc.
A la sortie de la gare, les ruelles sont sinueuses mais nos conversations aussi.

Il suffit d'un zeste de yuzu pour parfumer tout le bol de udons. La prochaine fois, je saurai les reconnaître sur la carte. Je continuerai, en revanche, à ignorer leur nom.
Mais désormais, je les appellerai "les udons Rapport sur moi".
Des udons au goût de rêves et de coïncidences.

4.1.09

L'heure anglaise (3)

A Tokyo, le 4 janvier est un jour bleu et il ne tient qu'à nous de le rendre heureux.
En allant boire un thé oolong au plus haut ou, au terme d'une balade, en fumant des cigares...
En lisant le Journal de Virginia Woolf et en mangeant un tayaki, je fais de ce jour un vendredi et c'est un peu comme si je mangeais un gâteau d'anniversaire.

"Mais j'ai été heureuse de rentrer à la maison, et de sentir que ma vie véritable reprenait; autrement dit la vie ici avec L. Solitaire n'est pas tout à fait le mot qui convient; ma personnalité semble résonner au loin dans l'espace lorsque L. n'est pas là pour en enclore toutes les vibrations. Voilà qui n'est pas écrit d'une manière bien intelligible, mais le sentiment est étrange en soi -on dirait que le mariage est la confirmation de l'instrument; et la musique de l'un sans celle de l'autre vous pénètre comme celle d'un violon privé de son orchestre ou de son piano."
(Vendredi 2 novembre 1917)

3.1.09

Les lectures du balcon

Parfois ça me prend, cette envie de faire comme si, cette envie de faire semblant, de jouer un rôle qui ne duperait que moi.
Parfois, donc, je me mets dans la peau de la typique lectrice de Biba qui vit à 100 à l'heure dans un monde où tout va si vite ! Et qui n'a ABSOLUMENT pas le temps d'ouvrir un seul livre de toute l'année. Et ce n'est pas faute d'en avoir envie ou d'en entendre parler.
Voilà.
Comme cette femme que je ne suis pas, j'ai fait une pile de pages à tourner pendant les vacances. Comme si je ne lisais jamais le reste du temps.

Et, tous les jours, comme obéissant au parfait cliché, le soleil a brillé sur mon balcon, favorisant ces moments hors du temps où la lecture nous emmène si promptement ailleurs.

Demain, j'irai attendre E. à l'aéroport et je sais qu'il va me rapporter Biba.
Abandonnant brièvement mes romans, je me projetterai dans cet univers de science-fiction qui me rappellera que, si j'étais une VRAIE lectrice de Biba, je n'aurais pas passé mes vacances à lire : j'aurais cherché THE right cadeau de Noël dans les boutiques branchées jusqu'au 24 décembre. J'aurais enduré stoïquement les remarques perfides de ma belle-mère et serré les dents en découvrant que rien de ce que j'avais espéré recevoir n'était au pied du sapin. J'aurais fait un régime éclair d'une semaine pour pouvoir encore profiter du foie gras du 31 après avoir abusé de celui de Noël... Et là, je ne serais pas en train d'écrire mais dans les magasins pour le premier jour des soldes.
De la science-fiction, donc.

"Plus tard, je vois un gars par une fenêtre qui, très tard, bosse encore sur son ordinateur. Un gars émouvant, déplumé.
Il toise l'écran par-dessus ses lunettes de presbyte. Je ne sais pas pourquoi, mais il me rend intacte une minute d'enfance où je me disais : des milliers d'histoires m'attendent partout, elles sont toutes intéressantes et je vais toutes les vivre pour toutes les raconter."
Emmanuel Guibert. Le pavé de Paris.

"Est-ce qu'ils n'étaient pas à peu près officiellement fiancés, après tout ?
Depuis toujours ils s'étaient connus et on ne sait pas quand on a passé de se connaître à autre chose. Il y a une ligne de frontière qui n'est marquée que sur la carte et dans les livres; elle n'est pas visible dans les coeurs. ça se fait sans qu'on sache, et ce qu'on sait ensuite, c'est seulement que ça s'est fait."
C.F. Ramuz. La beauté sur la terre.

"Les choses iront mieux lorsqu'il n'y aura plus personne.
Vous croyez ?
Certainement.
Mieux pour qui ?
Pour tout le monde.
Pour tout le monde.
Certainement. On se sentira tous mieux. On respirera tous plus facilement.
C'est bon à savoir.
Oui. Vraiment. Quand on sera tous enfin partis alors il n'y aura plus personne ici que la mort et ses jours à elle aussi seront comptés. Elle sera par ici sur la route sans avoir rien à faire et personne à qui le faire. Elle dira :Où sont-ils tous partis ?Et c'est comme ça que ça se passera. Qu'y a-t-il de mal là-dedans ?"
Cormac Mc Carthy. La route.

"Chacun se construit son histoire, ajoutant, retranchant ou déplaçant des scènes, opérant, à son insu, son propre montage.
Repentirs, réécritures... Ma mémoire est bricoleuse, elle passe son temps à redistribuer les scènes de mon passé. Qui viendra démentir ma bonne foi ? Si j'ai l'esprit de l'escalier, est-ce parce que je crois que je peux retoucher ma vie comme un bon film, ajouter une réplique, me donner le beau rôle, en réécrire les sous-titres, avoir toujours le dernier mot ?"
Didier Blonde. Les fantômes du muet.

"Le goût que l'on développe par la suite est fidèle à ces impressions d'enfance, mais il change de registre : filtré par d'autres expériences, il se déplace sur une échelle des valeurs dont l'art donne la mesure, et se travestit quelquefois pour ne pas être impudique. Je ne suis pas loin de penser que mon émotion devant tant de choses au Japon, dont l'esthétique est à la fois si légère et tellement maîtrisée, est la résurgence d'une émotion encore vive devant les étoffes, les écheveaux de laine et la chevelure féminine; devant les outils de la couture et du tricot qui se mêlent dans le souvenir aux accessoires de la beauté, de même que les instruments de l'écriture à ceux du maquillage."
Gérard Macé. Un monde qui ressemble au monde.

2.1.09

Ne pas faire du passé table rase


Je laisse momentanément la ville fermée (hier, jour férié) ou en furie (aujourd'hui, début des soldes) aux autres.
Car pour poursuivre mes tâches d'archivage de l'année écoulée, je suis mieux dans le calme ensoleillé de mon balcon (et au moment où j'ai retiré mon pull, j'ai sorti le thermomètre pour en avoir le coeur net. Ah oui, tout de même : 22° à l'ombre !).
2008 ne cesse de se dévider, comme une pelote qui s'est échappée de mes mains mais dont je tiens le fil.
Des images continuent de refluer à la surface de ma mémoire.
Ainsi ce jour de printemps au botanique où, après avoir photographié les ombres mouvantes des arbres sur le sol, il s'était étendu dans l'herbe, lui aussi, et m'avait dit "oui mais, au moins, tu sais ce que tu ne veux pas".
Pour m'assurer que c'est encore vrai et parce que ça ne m'a jamais paru suffisant, j'ai tracé un trait au milieu de la page.
J'ai écrit "ce que je ne veux pas" mais j'ai commencé par remplir l'autre colonne après en avoir corrigé l'intitulé (pourquoi donc "ce que je voudrais" ??? Non ! "ce que je veux", voyons !).
A ma grande surprise, elle est longue, beaucoup plus longue que la première.
Le temps qui passe n'est pas inutile.

1.1.09

C'est jeudi !


Même si vous ne cliquez pas sur la boîte aux lettres des jeudis pour connaître l'indispensable avis sur les pochettes surprises que je livre à Madame Gâ, je vous souhaite une année 2009 intense et bleue, une année aux cent nuances et rebondissements et vous offre un refrain doucement nostalgique sur le thème du temps qui passe...


Découvrez The Divine Comedy!