28.2.09

En terre étrangère

Claire Denis raconte qu'elle était gravement malade, clouée au lit, quand elle a entendu cette émission qui a changé sa vie.
Elle n'a pas changé la mienne mais elle m'a marquée, moi aussi.
Hervé Pauchon était monté dans le RER pour faire parler les passagers des livres qu'ils étaient en train de lire, leur en avait fait citer des extraits.
A la fin, c'était le conducteur qu'il avait interrogé.
Le conducteur avait dit la difficulté d'être étranger -alors même qu'il était Français mais pas blanc- et avait parlé de Mars de Fritz Zorn.
Je me souviens que ça m'avait donné envie de prendre le métro.
Mais, au lieu de ça, j'avais remis de l'eau à chauffer, repris Médor sur mes genoux, m'étais replongée dans mon livre.
C'est maintenant, maintenant que je suis étrangère dans un pays où il ne m'est pas difficile de l'être, que je prends le train, que je lis dans les trains.
Je lis en français.
Et le français est une langue étrangère.

"-Oh non ! Paris est encore loin, mais nous serons dans quelques instants à la frontière française. A compter d'aujourd'hui, c'est à dire depuis minuit, il y a une grève générale en France. Tous les trains sont arrêtés. Préparez-vous vite pour descendre !
Pas un mot de récrimination ne vous venait à l'esprit. On ne peut pas se disputer sans adversaire. Vous saviez que les Français faisaient des grèves radicales mais cela devait rester une scène qu'on s'amuse à regarder au journal télévisé. Si on vous demandait de descendre de ce train de nuit, c'est qu'il y avait dans la réalité un dysfonctionnement bien malencontreux entre les informations et la vie.
(...) Quand on regarde le reste du monde, on trouve quelques malheureux pays où la grève n'est pas autorisée, et dans ces pays, il y a même de pauvres employés qui se suicident en disant : "Plutôt que de faire de la peine aux passagers, je préfère perdre mon emploi et mourir de faim." Le personnel des chemins de fer français, lui, chasse fièrement ses clients du train, c'est plus sain et plus rationnel.
(...)La grève était peut-être un événement amusant. Une ville hors d'état de fonctionner se transforme en parc d'attractions.
Quelques années plus tôt, à Marseille, vous aviez vu la ville pendant une grève des éboueurs. Les ordures s'amassaient sur les trottoirs, leur volume augmentait de jour en jour et elles avaient beau s'élever au-dessus de la taille d'un homme, la grève continuait. Les déchets pourrissaient sous le soleil du plein été. Les gens contemplaient ces tas de puanteur. Il y avait là une excitation presque festive. Lorsque la grève avait cessé, les montagnes d'ordures avaient disparu d'un seul coup, si rapidement que c'était à se demander si ces obstacles n'avaient pas été déposés là pour le plaisir du jeu."
Yoko Tawada. Train de nuit avec suspects.

27.2.09

D'éternelles vacances


Hier, je parlais de vacances à Mme Gâ.
Quand j'habitais à Lille, il suffisait que l'on sorte nos plateaux du petit déjeuner dans la cour pour que, même si je devais partir travailler trois quarts d'heure après, je me sente en vacances.
Je sais que transporter son bol de flocons d'avoine sous le ciel bleu ne suffit pas à créer le dépaysement de tout le monde.
Je sais que, pour certains, le mot "vacances" sous-entend forcément billet d'avion et méthode Assimil.
Je pense à eux tous les jours.
Car, à présent que je vis à Tokyo et que prendre mon petit déjeuner au soleil est nettement plus courant qu'à Lille, c'est le fait de ne jamais oublier que je suis à l'étranger qui fait que je me sens en perpétuelles vacances.

26.2.09

C'est jeudi !


Les courriers que j'écris à Madame Gâ dans la boîte aux lettres de nos jeudis soignent tous mes maux.

25.2.09

Absence


J'ai retrouvé la photo dans un tiroir. Au dos : "rideau de fer à Ueno".
Mais il ne me reste aucun souvenir des circonstances de l'image.
Une absence totale de souvenir.
C'est rare.

24.2.09

Tuesday self portrait (un anniversaire)


Mélie le sait bien : les mots qu'on envoie sont des cadeaux.
De la citation qui lui a fait penser à moi, j'ai fait le principe du self portrait de ce mardi.

"Parce que la vie se répète, parce que le calendrier a une structure cyclique, le journal donne au lecteur une impression d'éternel retour. Reviennent les mêmes actions, les mêmes pensées : au lecteur pressé, le journal semble tourner en rond ou s'enliser. Il est des diaristes pour exploiter consciemment la répétition inhérente au journal. Azaïs, philosophe, redécouvert par Michel Baude, invente un nouveau dispositif de journal, fondé sur les anniversaires : ce sont finalement 365 journaux particuliers que tient Azaïs, constitués de notes qui concernent, selon son expression, les jours "pareils", autrement dit les jours qui portent la même date au cours de 33 années successives."
Françoise Simonet-Tenant. Le journal intime.

Aujourd'hui, un an après ce mardi d'il y a un an.

23.2.09

"C'est pratique que Paris soit dans la proche banlieue de Bruxelles"*

Les Japonais sont à l'étroit dans les villes.
Les voies ferrées passent sur les toits des buildings, les avions les frôlent presque en atterrissant. Quant aux quatre voies enchevêtrées, elles sont sans cesse engorgées par un flot constant de voitures polluantes.
D'ailleurs, c'est bien simple, sans les distributeurs d'oxygène, les citadins ne peuvent pas vivre.
Dans cette société vieillissante où les m2 habitables sont comptés, les personnes âgées deviennent encombrantes.
C'est pourquoi il est bien pratique de les envoyer finir leurs jours au soleil, en Espagne, loin des yeux loin du coeur... Cet abandon des vieux, c'est même en train de devenir un phénomène de société et, bientôt, l'Espagne n'y suffira plus.

Quand j'y pense...
Ma copie de bac en géographie n'était pas un exercice de fiction. J'avais, d'ailleurs, si bien collé à la réalité qu'on attendait que je restitue parce qu'on me l'avait enseignée, que j'avais eu une note tout à fait correcte.
C'est sans doute parce que jamais je ne lisais de science fiction que je ne m'étais pas aperçue combien ce que j'avais écrit en relevait. De la mauvaise SF pleine de clichés pitoyables et d'approximations.
J'étais sensée avoir appris la carte du Japon, savoir situer les principales villes, connaître les ressources énergétiques du pays ainsi que leur localisation... Mais bon, il ne fallait pas trop m'en demander : j'avais fait l'impasse sur les cartes.
J'ai donc tout découvert en arrivant ici : Tokyo comme un immense jardin, les avions qu'on ne voit que depuis Odaiba, les voitures quasi neuves et silencieuses... Et les vieux qui se protègent du soleil et qui ne prennent pas plus de place que leurs bonzais et qui ne savent pas où est l'Espagne... Quoique !
Une seule fois à Sugamo, une vieille dame, au sempiternel "d'où venez-vous ?" s'était détournée de moi en haussant les épaules d'ignorance.
Ce jour-là, j'avais réalisé que je venais d'un pays dont le monde entier ne connaissait pas l'existence.
Depuis, je m'émerveille de constater que je ne rencontre pas davantage de gens comme elle. Et que, même, quand j'explique que j'ai habité à Lille, dans le nord de la France, à côté de la Belgique, tant de personnes me regardent d'un air entendu.
Je sais gré à tous ces gens de ne pas avoir fait l'impasse sur la carte d'Europe pendant leurs études.

"-Prenez le car pour Bruxelles. De là, vous pourrez rentrer en train normalement.
Encore la Belgique. Ces employés paraissaient complices comme larrons en foire. Votre destin était d'être envoyée éternellement en Belgique, pour vous être endormie en oubliant l'existence de la Belgique. La Belgique n'était pas coupable. Elle existait, voilà tout, et vous n'aviez pas le droit de la traiter, au nom de votre confort de voyageur comme une épine dans le pied.
(...)Vous arrivez en gare de Bruxelles. ça doit être la gare puisque le chauffeur de car l'a dit. Mais vous ne voyez ni quai ni train et vous tournez en rond, jouet d'une structure incompréhensible. Apercevant enfin un panneau horaire, rassurée, vous le consultez. Tous les trains sont à destination de Londres. Est-il impossible d'aller ailleurs ? Tout ce tracas, revenir à Bruxelles, pour rien ? Vos jambes flageolent. Jamais deux sans trois, jamais trois sans quatre ! Arrivée à Londres, vous vous entendrez dire que, de là, on ne peut aller qu'à Dublin et vous vous éloignerez de plus en plus de chez vous.
En y regardant bien, vous comprenez que vous êtes sur le quai de l'Eurostar, et donc que tous les trains sont pour Londres. Vous êtes rassurée, et, du meme coup, votre curiosité s'éveille. Et si vous alliez à Londres ? Choisir le retour le plus long ? Faire le détour dans le détour ? Quelle sensation éprouve-t-on à rouler au fond de la Manche ? Est-ce plus sombre que de traverser un sommeil nocturne ?"
Yoko Tawada. Train de nuit avec suspect.

*Un collectionneur Belge interviewé à Paris-Photo

22.2.09

L'heure anglaise (8)

Le printemps ne serait-il pas, comme le reste, une affaire de marketing ???
N'est-ce pas en voyant les feuilles de sakura entourer les mochis dans les vitrines des pâtisseries qu'on a hâte que les arbres fleurissent ?
N'est-ce pas en voyant les jolies matières fluides des chemises légères dans les boutiques qu'on a envie de l'herbe grasse sous la nappe des pique-niques ?
J'essaie de me rappeler que, en février, je suis en tee shirt pendant les trois heures que consacre le soleil à mon balcon mais que des pantalons en lin ne sont pas adaptés au reste de mes journées.
Mais, à l'heure du thé, je m'aperçois que je ne suis pas seule à me soucier de la question vestimentaire.

"J'ai refusé étourdiment de déjeuner avec les Phil Baker, qui sont venus chercher L. dans leur automobile. Tout à coup, il y a dix minutes, j'ai commencé à le regretter profondément. J'aurais pris tant de plaisir à leur conversation, tant aimé voir leur maison et faire assaut d'esprit avec eux ! Maintenant la seule chose raisonnable qui s'impose est de m'offrir en compensation un plaisir que je n'aurais pas eu si j'étais allée à ce déjeuner. Je n'en vois point d'autre que d'écrire ici et de faire le tour du square. Sans en avoir conscience, je dois toujours batailler avec mon complexe vestimentaire. Lorsqu'on me propose une sortie, ma première pensée est que je n'ai rien à me mettre pour l'occasion. Todd ne m'a jamais envoyé l'adresse de cette boutique. Peut-être l'ai-je vexée en refusant de déjeuner avec elle. Mais la Virginia qui refuse est une personne très instinctive et, par conséquent, d'un grand pouvoir. Celle qui réfléchit et qui est sociable ne fait surface que bien après. De là le conflit."
Dimanche 9 mai 1926

"Je m'en vais régler le problème vestimentaire en me référant à ces principes : me procurer des vêtements bon marché pour le jour et une bonne robe de chez Brooke; et me montrer moins pointilleuse sur le chapitre du plafond à ne pas dépasser, car je gage que je n'ai qu'à écrire et à me remuer un peu pour dispenser d'au moins cinquante livres supplémentaires dans l'année, pour mes extravagances personnelles. Je ne laisserai plus jamais la pensée d'un manteau à trois livres m'accabler au milieu de la nuit, ni ne craindrai plus de déjeuner en ville parce que "je n'ai rien à me mettre".
Jeudi 30 septembre 1926

"Je renonce à tout espoir d'être bien habillée."
Samedi 11 décembre 1926
Virginia Woolf Journal intégral 1915-1941.

21.2.09

Les moments doux

On sait bien qu'on dit des choses de soi chez le coiffeur qu'on ne dit pas facilement ailleurs.

"En japonais, quand il se produit un événement très important, on dit : cela ne peut pas faire une histoire. Comme si ce que l'on vivait était en soi inexprimable sinon dans des termes déjà acceptés par le corps social. Une phrase par exemple qui commence par : "j'ai perdu un enfant" doit nécessairement continuer ainsi : "c'est une expérience douloureuse, terrible". Le travail de la littérature consiste à casser ces signes codés ou du moins à les éviter. Si je ne peux m'empêcher de relater ce type d'expérience, c'est surtout ma manière de lutter contre ces signes socialement acceptés. L'expérience fondamentale sera bien sûr d'essayer de cerner ce que l'on éprouve mais en tentant d'aller jusqu'au noyau du sens."
Tsushima Yûko. Entretien avec Philippe Forest in Pour un autre roman japonais.

J'aime mes conversations aléatoires.
J'aime aussi découvrir que ce que j'avais pris pour une parole personnelle et intime est, en fait, un lieu commun que n'importe quelle autre personne, dans la même conversation, m'aurait dite.
Qu'est-ce qui compte davantage ? L'intention du locuteur ou la façon dont son auditeur reçoit ses paroles ?
Il m'est parfois très doux et paisible de me reposer des mots auxquels, par ailleurs, ma vie est tellement attachée.
Je détesterais être anthropologue et faire de l'étranger un sujet d'étude plutôt que de pouvoir continuer à vivre ces instants vertigineux.
Ces instants où, tout à coup, nos différences se rappellent à moi, ces instants minuscules qui me permettent -même fugitivement- d'apercevoir des existences qui se passent de psychanalyse, qui ne connaissent pas la perpétuelle habitude de donner un avis personnel en toute circonstance et même quand personne ne le sollicite.
Ces instants de rencontre, au-delà des mots et des cultures.
Ces instants qui valent pour ce qu'ils sont, pas pour ce qui s'y dit.

Ma coiffeuse, en me tendant sa carte, a désigné le premier caractère de son prénom : "ça veut dire amour".
Combien de significations ce mot a-t-il dans le monde ?
Le sens que je lui donne, moi, va très bien à Aiko.

20.2.09

Les heureuses correspondances

Je savais que la photo que je destinais à l'anniversaire de Judith se trouvait dans la pochette verte.
Je savais aussi que s'y trouvaient encore quelques clichés venus de France : Audrey et ses tresses d'Indienne, Roselyne et Louise à Bray Dunes en hiver, le pelage gris de Médor.
La présence du poème, en revanche, m'a surprise.

"Pour l'invention du quotidien, elle avait imaginé
de placer sur la table basse,
grand ouvert, un cahier
-comme on pose aussi dans l'hiver au jardin un nichoir
et les oiseaux viennent s'y rassasier-;
on aurait jonché les pages de poèmes et de phrases,
feint de s'envoyer
encore des sortes de lettres, et recréé
en cet amour une fenêtre
pour qu'il ne devînt pas comme le salon exigu, encombré."
Judith Chavanne. Le nouveau recueil.

C'est drôle comme, parfois, on découvre un nom et, peu de temps après, on le rencontre ailleurs en se disant que, à quelques jours près, il ne nous aurait rien évoqué, on l'aurait lu et oublié sur le champ.
Ce nom de Judith Chavanne, je me suis souvenue l'avoir vu ici.
En y reconnaissant l'écriture de Joël, ce papier m'est devenu aussi précieux que le souvenir de la lecture qu'il nous avait faite de ce texte lors de la préparation d'un bal littéraire.
             (photo prise à L'Epicerie, 66 rue du page à Bruxelles)
Offrir ce cadeau m'a permis de vivre cette réminiscence comme un vrai présent.
Merci.

19.2.09

C'est jeudi !


Heure des bilans ou des constats ? Quand j'écris à Madame Gâ dans la boîte aux lettres de nos jeudis, tous les espoirs sont toujours permis.

18.2.09

De dos


"Voir de dos, ce n'est pas voir l'autre, c'est voir ce que l'autre voit; accompagner son regard; entrer dans sa vue.
Seul notre visage fait nom et singularité, voir de dos, c'est donc non seulement voir ce que l'autre voit, mais encore voir de l'autre ce qui n'est pas encore tout à fait lui. De ces deux visions combinées résulte cette idée : que ce que voit l'autre, ce qu'il contemple vraiment sans le savoir, c'est son anonymat -autrement dit, le monde sans lui. Etc."
Christian Doumet. Japon vu de dos.

17.2.09

Tuesday self portrait (un détail)


La veste semblait être accrochée à mon intention, dans la minuscule boutique de la Waseda dori.
Et, me regardant dans le miroir en pied, j'ai eu envie de me tourner vers le vendeur pour partager avec lui mon enthousiasme d'avoir trouvé MA veste sans même l'avoir cherchée.
Mais le vendeur était masqué et occupé à autre chose.

Ce n'est qu'après l'avoir déjà portée que j'ai remarqué cette bande noire, là, sur la capuche.
Si je l'avais vue avant, elle aurait pu être l'unique motif de mon achat. Car j'aime ce genre de détails sur les vêtements, un rien qui change tout mais qui n'est là que pour ceux qui me voient. De dos.

16.2.09

Une radio sentimentale, fantaisiste et littéraire

Je ne sais pas bien ce qui m'a tenue éloignée si longtemps de ce livre. Je sais, en revanche, que c'est Thomas Fersen qui me l'a mis entre les mains.

A l'extrait que je lui ai envoyé, Mme Gâ n'est pas restée insensible et a eu une jolie formule "il faut vraiment que je mette la main sur ce bouquin" !
Comme s'il s'agissait d'un ouvrage rare, comme s'il allait falloir mobiliser tous les libraires de la terre pour se le procurer ! Alors que, bien sûr, L'attrape-coeurs est un best-seller de l'adolescence en vente partout et qu'il est très étonnant que nous ne l'ayons, ni l'une ni l'autre, lu auparavant.
Qu'importe : ce livre n'a pas de date de péremption et, après sa lecture à elle, il saura attendre l'adolescence de ses deux ourses pour parfaire leur éducation sentimentale, leur apprendre à être en paix avec la mort, encourager leurs rêves déraisonnables, leur éviter de se marier avec un abruti et placer les virgules au bon endroit.

"N'importe quoi. Une description. Une pièce dans une maison. Ou bien une maison. Ou un endroit où t'as vécu -tu vois le truc. Du moment qu'on décrit." Tout en disant ça il baillait comme un fou. Moi ça me la coupe je veux dire quand quelqu'un baille juste au moment où il vous demande un service. Il a dit "Mais arrange-toi pour que ça soit pas trop bien. Ce con d'Hartzel, il trouve que t'es génial en dissert' et il sait qu'on crèche ensemble. Alors mets pas toutes les virgules au bon endroit."
Encore quelque chose qui me la coupe. Quand on est bon en dissert' et qu'on vient vous parler de virgules. Stradlater il faisait toujours ça. Il voulait qu'on se figure qu'il était nul en dissert' pour la seule et unique raison qu'il mettait pas les virgules au bon endroit."
J.D. Salinger. L'attrape-coeurs.

A Manosque, lors du festival de la correspondance, des textes rencontrent des voix.
Belle et fantaisiste idée d'en faire un disque qui s'écoute comme un livre (ou le contraire ?)
Avant de filer chez votre libraire, cliquez sur ma radio sentimentale et littéraire (en haut à gauche) pour goûter quelques extraits.
Au sommaire de cette bande annonce :

Valérie Leulliot-Brigitte Giraud
Rodolphe Burger-Eugène Savitzkaya
Thomas Fersen-J.D. Salinger
Serge Teyssot-Gay-Georges Hyvernaud
Barbara Carlotti-Mathieu Riboulet
Claire Diterzi-Arnaud Cathrine
Erik Arnaud-Mehdi Belhaj Kacem
Florent Marchet-Edouard Levé
Dominique a-François Vergne

15.2.09

Le jour des singes bleus

"Bien sûr c'était un hasard. Mais un hasard qui se manifestait un peu trop par hasard justement. C'était donc un hasard mais ce mot faisait brusquement son apparition derrière la réalité, écrasant toute autre explication, interdisant toute discussion. Non, il valait encore mieux conclure à un simple hasard. Pour ne pas avoir à s'encombrer de mots étranges tels que la relation de cause à effet cachée, signe quelconque, volonté invisible, le mieux était encore de se débarrasser de tout cela avec le seul mot de hasard. Exactement, il n'y avait aucun lien, c'était un simple hasard, c'était uniquement que ce jour-là pour Yoriko était celui des singes bleus."
Natsuki Ikezawa. Les singes bleus.

Mes jours continuent à porter un nom.
5 janvier : le jour de ma veste et de la route à l'envers.
12 janvier : le jour du strabisme de mon voisin.
17 janvier : le jour du sourire retrouvé.
25 janvier : le jour du soleil à 8H04.
29 janvier : le jour de la fossette.
31 janvier : le jour de la mort violente de la souris.
5 février : le jour du "thank you" au salon de thé.
9 février : le jour où je n'aime pas les carpes.
12 février : le jour où c'est encore l'hiver.

Et hier, c'était le jour de la glace.

14.2.09

L'île

"It seems like every story told about us isn’t meant to be
You fly on wings of gold all the way back home to me

But what I’m thinking of just this time
Why don’t you lay your head down in my arms, in my arms
Lay your head down in my arms, in my arms

You know my love this is no dream of mine
But the way you ride those waves makes me want to follow you blind

And what I’m thinking of just this time
Why don’t you lay your head down in my arms, in my arms.
Lay your head down in my arms."

Sur le rainbow bridge, je chante avec Keren Ann. Les voyages vers Odaiba sont trop courts.

Cette île dépose toujours du sable au fond de mes poches.

13.2.09

En vrac

Il y a le soleil dont je ne me lasse pas.

Des choses entendues :
"-Gwen ?
-Oui ?
-Tu as un enfant ?
-Non.
-... Tu as deux enfants ?"

Des matinées sur le canapé rouge et de drôles de coïncidences dans les pages.
"Dans les chaînes de grands hôtels, partout sur la planète, on retrouve la même chambre; de même, dans tous les Starbucks on se sent chez soi. Un chez-soi où d'autres clients lisent le journal, allongent les jambes, bavardent, téléphonent, tapent sur un clavier : un terminal d'aéroport."
Marie Darrieussecq. Le Pays.

Des cheveux courts. Les miens. D'autres aussi.

Des choses lues :
"Le meilleur assaisonnement pour mes petits pains au jambon, c'est la neuve verdure du Palais Royal, le bleu neuf du ciel."
Simone de Beauvoir. Cahiers de jeunesse. Mercredi 24 avril 1929.

Des cris d'oiseaux. Des pruniers fleuris. Du tofu au sakura. Des promesses de printemps.

Des choses entendues :
"J'étais en Sibérie parce que j'avais pris le thé avec Nathalie Sarraute. C'est comme ça que les choses arrivent."
Jean-Pierre Faye. Entretien sur France Culture.

Des choses lues :
"Il faut me résigner à être une intellectuelle, mais du moins il faut savoir me servir de ce caractère. Moi je me sers de l'écriture pour essayer de fixer les moments de grâce parfaite où l'être entier est envahi par la vie jusqu'aux larmes."
Simone de Beauvoir. Cahiers de jeunesse. Vendredi 29 mars 1929.

Des nuages. Des paysages. De la vie. De la belle vie. Sans interruption.

12.2.09

C'est jeudi !


Cette semaine, dans la boîte aux lettres de nos jeudis, je raconte à Madame Gâ comment je me suis rangée des voitures.

11.2.09

Le nouveau roman

Après que je le lui ai épelé, il m'a dit "votre prénom est difficile à retenir". Je n'ai pas osé lui faire répéter le sien que j'avais oublié sitôt qu'il me l'avait dit.
ça faisait à peine 8 minutes que j'étais assise à cette table et il était déjà le troisième à me dire qu'on lui avait beaucoup parlé de moi. Le troisième à ne pas me révéler ce qu'on lui avait dit.

"-En fait, Yann m'avait parlé de vous, dit-elle au bout d'un moment.
-Vraiment ?
-Je ne sais plus quand, il s'est vanté d'avoir un ami japonais qui savait très bien passer le temps à rêvasser sans rien faire. Il avait ajouté que c'était un préjugé de croire que tous les Japonais travaillaient comme des abeilles, qu'il y avait des exceptions. Il n'a pas donné de nom, mais ce devait être vous, n'est-ce pas ?
-J'imagine. Je ne peux pas croire qu'il y ait dans son entourage tellement de Japonais qui rêvassent. Vous savez, c'est dans une compétition de pétanque que je l'ai rencontré.
-De pétanque ? Vous êtes japonais et vous jouez à la pétanque ?
-J'adore lancer des choses. Des camemberts par exemple.
-Des camemberts ?
Catherine eut un rire bref et me regarda dans le rétroviseur.
-Oui, des boules de métal ou des camemberts, pourvu que ce soit des choses rondes."
Toshiyuki Horie. Le pavé de l'ours.

D'habitude, j'évite de ranger les gens dans des catégories.
Hier, en lisant Yoko Tawada, je n'ai pourtant pas pu m'empêcher de me réjouir qu'il existe une sorte d'écrivains qui utilisent le tofu comme terme de comparaisons !!!
Cela dit, je ne suis pas sûre qu'ils soient assez nombreux pour en déduire l'émergence d'un nouveau courant littéraire !

"Ai-Van m'ayant plusieurs fois demandé au petit déjeuner quel film je venais de voir, je lui révélai le titre, Indochine, un mot qui sonne comme un plat au tofu râté. Il ne s'agissait pas plus de l'Inde que de la Chine, mais de nous. Comment avait-on pu inventer un tel nom ?"

"Il portait des chaussures étroites, pointues et blanches comme une certaine sorte de tofu qui se mange en dessert en Chine."
Yoko Tawada. L'oeil nu.

10.2.09

Tuesday self portrait (New York style)


"there's a woman
on the outside
looking inside
does she see me?

no she does not
really see me
cause she sees
her own reflection"

9.2.09

La poule et l'oeuf


La mention SM ne dit rien de mes préférences sexuelles mais révèle mes pratiques alimentaires lorsqu'elle est inscrite sur le gobelet de lait chaud qu'on me tend au comptoir.
Les bananes, près de la caisse du café, sont toutes identiques. Même robe jaune sans tache. Même calibre. Toutes, elles disent "Mangez-moi !"
Que veulent dire d'autre les femmes quand elles souhaitent les mêmes mensurations et la même robe que le mannequin de la page 127 du Marie-Claire du mois de janvier ?
Que disent de nous nos vêtements ? Et pouvons-nous être sûrs que leur langage est universel ?
Si j'enfilais sa robe chasuble bleue marine, aurais-je le même inamovible sourire de cheftaine que ma voisine ? Ainsi que sa capacité à chantonner une mélodie en lisant une partition de musique ?
Qu'est-ce qui vient en premier ?
Le choix de la robe découle-t-il de l'aptitude à concevoir un jeu de piste ?
Ou est-ce la forme chasuble qui conserve l'enthousiasme énergique de l'enfance ?

8.2.09

Les cailloux du petit Poucet

C'est comme s'il suffisait de me pencher. Que les livres avaient été déposés par une main dont je veux continuer à ignorer le dessein. Comme si les livres traçaient droit un chemin vers une destination que je ne connais pas.
Et alors, c'est en moi que, en s'empilant, les mots forment un dessin.

"Chez le coiffeur, j'ai le loisir de me répéter, yeux clos, engourdie de bonheur : vie si riche, perpétuellement renouvelée, vie de présences, peuplée de mots jamais entendus, de visages jamais vus; et de mots qu'on peut entendre toujours, de visages qu'on pourrait toujours voir... Grands projets : l'an prochain m'installer chez moi dans l'appartement de Bonne-maman; recevoir, écrire, gagner de l'argent, sortir. Quelle plus belle oeuvre que cette destinée que j'accomplis ? Quelle certitude ne plus connaître le vide. (Ou vient-elle seulement de mon nouvel amour ?)"
Simone de Beauvoir. Cahiers de jeunesse 1926-1930. Jeudi 30 mai 1929.

"Ce jour qui allait devenir vraiment spécial pour moi, en cette fin d'après-midi de mai chaude comme en plein été, j'étais parti faire un tour. Ma destination : certains recoins secrets d'Ikebukuro que je venais de découvrir. La librairie Hôrindô à Ikebukuro Ouest et Libro, le rayon livres du grand magasin Seibu à Ikebukuro Est.
Ces derniers temps, je m'étais peu à peu mis à lire des livres avec du texte (!)
Des choses que je voulais savoir, il y en avait des montagnes. Des volontaires pour me les apprendre, il n'y en avait aucun. Alors je m'étais mis à lire par moi-même.
Jusque là, même s'il m'arrivait de mettre les pieds dans des librairies, je ne fréquentais que les rayons mangas et les présentoirs de revues. Au début, lire toutes ces pages croulant sous les signes m'était aussi pénible que de faire une longueur de piscine en apnée. Mais petit à petit, on gagne du souffle. Même moi qui n'avais chez moi aucun livre digne de ce nom, je parvenais maintenant à lire plusieurs dizaines de pages sans m'arrêter. Parfois même une centaine de pages d'une traite ! Miracle de la physiologie humaine."
Ishida Ira. Ikebukuro West Gate Park.

"Le livre à lire à haute voix qui se vend avec le petit déjeuner et une poignée de pois. Comme c'aurait été bien s'il avait été posé sur la table un peu obliquement pour laisser la place à la tasse de lait, et tracer une ligne parallèle avec la lumière mince du matin qui se jette sur le sol de pierre."
Ryoko Sekiguchi. Deux marchés, de nouveau.

"J'avais décidé de ne rien lire d'écrit le dimanche. Au lieu de quoi j'observais les gens que je voyais dans la rue comme s'ils étaient des lettres isolées. Parfois, quelques personnes s'asseyaient à une table dans un café et, pendant un moment, ils formaient un mot. Puis ils se dispersaient pour aller former un autre mot. Sans doute venait-il un instant où la combinaison de ces mots formait par hasard plusieurs phrases et où j'aurais pu lire cette ville étrangère comme un texte.
Jamais je ne découvris une phrase dans cette ville mais seulement des lettres, et parfois quelques mots sans aucun rapport avec le "contenu" de cette civilisation. Ces mots me poussaient de temps en temps à ouvrir l'emballage extérieur et je découvrais dessous un autre emballage."
Yoko Tawada. Narrateurs sans âmes.

"Dix ans, vingt ans que je suis là, à tourner résolument le dos au monde, à lire seulement des livres inutiles : je ne peux certes pas empêcher le monde de classer aussi la vie que j'ai menée jusqu'ici dans les activités inutiles ou dans celles qu'on tolère, mais tout de même, je n'aurais pas été fichu de gagner un sou ?"
Furui Yoshikichi. Le dos seul aux dernières lueurs du jour.

"La dernière semaine à Paris, j'avais acheté une pile de mes cahiers préférés. Ce n'était pas par fétichisme. Ecrire est déjà assez laborieux pour, en plus, se persuader qu'on a besoin de ci et de ça pour s'y mettre -à part de temps et de liberté. J'avais acheté une pile de ces cahiers simplement parce que leur compagnie est agréable.
J'ai rempli la pompe de mon stylo; me disant qu'avec un peu de chance -même si décidément la chance ne fait rien à l'affaire- l'encre se déviderait au fil des jours. L'écriture était pour l'instant dans le flacon, une pelote liquide. Je contemplai ce flacon qui contenait mon livre et j'écrivis le titre sur la couverture du cahier : Le Pays.
Puis je me levai et fis du thé dans la cuisine, c'était déjà bien parti, une première étape de franchie. J'ouvris le frigo et mangeai pensivement un yaourt. Ne pas fumer. Tournait dans ma tête un mobile, lent et éclaté... Des fils et une structure ténue, de petits objets occupant un espace... Si je trouvais la forme, un lien intuitif entre les éléments du mobile, il deviendrait lisible, il deviendrait un livre."
Marie Darrieussecq. Le Pays.

7.2.09

L'heure anglaise (7)

Imaginez : vous êtes dans un café tranquille, en train de lire au soleil et de boire lentement un chai.
Le temps passe à sa juste mesure. Le soir tombe peu à peu. Et, tout à coup, vous recevez un mail de la part d'un très charmant garçon qui propose de vous voir afin de vous donner des biscuits au sésame qu'il a cuisinés.

Les biscuits d'Ismaël ont fait mon petit déjeuner. Avec un american breakfast tea et quelques pages du Journal de Virginia Woolf, ils ont été le premier plaisir d'une journée qui m'en a réservé d'autres.

"Je ne prends plus souvent la peine, maintenant, de décrire les champs de blé et les femmes qui moissonnent en groupe, vêtues de blouses rouges ou bleues, sous le regard éberlué de petites filles en robes jaunes. Mais ce n'est pas faute de les voir; rentrant de Charleston, l'autre soir, j'ai senti une fois de plus tous mes nerfs se tendre, excités, électrisés (quel est le mot ?) par cette pure beauté -une beauté surabondante, si profuse que l'on s'en offenserait presque, tant on se sent impuissant à la saisir, à la retenir toute, ne fût-ce qu'un instant. Ce sont ces efforts de s'approprier au passage tous les aspects de la vie qui donnent à son déroulement son immense intérêt. J'ai l'impression de tendre les doigts de part et d'autre de ma personne pour toucher les parois rugueuses d'un tunnel, fait de pièces et de morceaux."
Vendredi 15 août 1924.

"J'apprécie mes après-midi passés à composer, et j'estime que c'est la vie la plus saine qui soit, car s'il me fallait passer mon temps à écrire, ou simplement à me remettre d'avoir écrit, il m'arriverait ce que l'on voit chez les lapins quand ils se reproduisent trop exclusivement entre eux : je ne produirais plus que de chétifs lapins blancs."
Lundi 21 décembre 1924.

6.2.09

Les rides d'Anne

C’était l’hiver à Orléans et je traversais la Loire à pied.
Plus tard, Henrietta m’a dit qu’elle était sur le pont, elle aussi, arrêtée au feu dans sa voiture, elle m'avait vue sans que je le sache.
Nous n’avons pas réussi à prendre ensemble le thé sur lequel on comptait.
Et, depuis cette déception, j’ai décidé que je laisserai faire ma vie -ou, à défaut, le hasard- qui décidera seule des visages du passé que je croiserai à nouveau.

Anne n’avait pas mon âge quand, pour mes 28 ans, elle m’a offert cet « auto-portrait vieilli » gravé si légèrement qu’on dirait un dessin au trait.
Recevoir des cadeaux ne m’est jamais indifférent mais déballer des peintures, des dessins, des photos, des collages, des calligraphies qu’on me destine me touche bien davantage que je ne saurais le dire.

Anne m’avait accompagnée chez l’encadreur. Et puis, petit à petit, sans que nos volontés s’en mêlent, nous ne nous sommes plus vues.

C’était l’été à Lille. Quelques semaines avant Tokyo, le TGV pour Paris était à quai et un couple s’embrassait sans gravité. Les au-revoirs de deux amoureux qui n’attendront pas longtemps avant de se retrouver.
Le garçon n’était pas le même que celui d’avant. Mais Anne n’avait pas changé. Sa dégaine d’oiseau, sa silhouette légère… Je l’ai reconnue sans hésiter. Je suis passée sans déranger.
Notre train est parti mais ce n’était pas elle qui s’en allait.

Du sac de cadres arrivés de France a surgi le visage d’Anne. Je ne ferai rien pour le comparer avec ce qu’elle devient et continuerai à voir, à travers les rides qu’elle s’est dessinées, son sourire émouvant, cette belle image d’une femme jeune et amoureuse sur le quai d’une gare.

5.2.09

C'est jeudi !


... et c'est à l'heure où le ciel d'Ikebukuro est le plus bleu derrière les vitres de mon bureau que j'écris à Madame Gâ une lettre que vous pouvez lire dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

4.2.09

Raymond Carver à Ikebukuro

Je suis une familière de ce jardin d'Ikebukuro que l'effervescence de la ville, tout autour, indiffère.
Les parties de shôgi qui opposent les hommes tout le temps que dure le jour, les balles de base ball des adolescents, les uniformes des lycéens sur les balançoires, les bols de nouilles chaudes des ouvriers, les bentos plus raffinés des jeunes filles rangées, les cigarettes des hommes en costume, les chats qui ne vieillissent pas, les conversations longues des groupes d'amis...
Un matin d'automne, j'étais dans une flaque du soleil débutant. A l'heure du petit déjeuner des sdf, c'était cette chanson légère qui avait fait bouger mes pieds.



Mais dimanche, c'est à midi que je me suis assise sur le banc à deux places et que j'ai lu Carver à voix haute.

Paresser

J'ai examiné la chambre il y a quelques instants
et voilà ce que j'ai vu-
mon fauteuil à sa place, près de la fenêtre,
le livre ouvert retourné sur la table.
Et sur le rebord, la cigarette
en train de se consumer dans le cendrier.
Simulateur ! c'est ce que m'avait crié mon oncle
autrefois. Il avait raison.
J'ai mis de côté du temps, aujourd'hui,
comme tous les jours,
pour ne rien faire du tout.

Raymond Carver. La vitesse foudroyante du passé.

Il s'est assis à côté de moi et a secoué énergiquement son plateau de sushis avant de le déballer et de l'asperger de sauce soja. Pendant les trois minutes quinze qu'a duré son repas, il n'a cessé de jeter sur moi des regards obliques. Il était manifestement inquiet pour ma santé mentale. Mais plus inquiet encore que ma folie soit contagieuse.
J'aurais été en droit de me poser la même question.

3.2.09

Tuesday self portrait (une description)

"Je ne me rappelle pas la couleur de ses cheveux. Ne l'ayant pas appris quand j'étais enfant, je n'arrive pas à me souvenir d'une couleur de cheveux."
Yoko Tawada. Narrateurs sans âmes.

Ici, en effet, il est vain, pour décrire quelqu'un, de préciser la teinte de ses cheveux ou celle de ses yeux.
A la question : "il/elle est comment ?", on répond autrement.

2.2.09

Le souffle au coeur

C'est comme marcher le long d'une pelouse qui vient d'être tondue.

Même si c'est un parfum qu'on aimerait se vaporiser sur les poignets car c'est l'essence d'un jour de printemps, il nous prend souvent à la gorge et par surprise et on suffoque, un instant.

C'est l'hiver à Ikebukuro et j'ai le souffle court : j'ai du bleu plein les poumons.

"De même qu'il n'y a pas d'existence "objective" du bleu du ciel (le bleu est bleu, un point c'est tout), ainsi il n'y a rien à savoir objectivement des mouvements de l'âme. Il n'en existe que l'intuition : le bleu du ciel psychologique."
Jean Baudrillard. Cool memories V.

1.2.09

Akakatta

"Depuis que j'écris beaucoup en allemand, les adjectifs de la langue japonaise me paraissent de plus en plus puissants. En allemand, les adjectifs sont des parasites des substantifs. Quand un substantif est au féminin et veut se montrer au datif, l'adjectif lui aussi doit se maquiller en femme et fléchir son corps au datif. L'adjectif japonais, pour sa part, ne s'adapte pas, il peut même déterminer à lui seul le temps de la phrase : akakatta (était rouge). Car dans son corps même il comporte le verbe être. Etre rouge n'est donc pas une information supplémentaire sur une fleur, c'est une activité. je me demande souvent si la dureté d'une pierre ou la chaleur d'une main ne sont pas elles aussi des actions au moins autant que le vol d'un oiseau. On considère généralement qu'il y a un mouvement lorsque quelque chose se déplace d'un point à un autre. Mais si, par exemple, il fait "clair", l'air est empli d'innombrables particules volant à une vitesse éclair. Un livre est "intéressant" quand sa langue met en mouvement les pensées du lecteur."
Yoko Tawada. Narrateurs sans âmes.

Je suis bien persuadée que notre langue détermine notre regard, notre manière d'appréhender les choses.
Je suis bien persuadée que la différence qui existe entre voir le monde sexué comme nous l'impose la langue française ou le voir neutre comme le suggèrent le japonais ou l'anglais est du même ordre que celle qui existe entre notre vision humaine en couleurs et celle en noir et blanc des chats.

Je vis dans une ville qui n'a pas été conçue pour être décrite par mon vocabulaire.
Et, de la même manière, je vis des expériences que je peine à transmettre. Et qui n'ont, ici, nul besoin d'être dites. Parce qu'elles sont universellement partagées. Et qu'elles relèvent des sentiments, du sensible, de l'évidence et du non-dit. Et pas du cérébral.

Suspendre sa vie un temps pour regarder les fleurs.
Par exemple.