31.3.09

Tuesday (self) portrait (la nationalité)


Je ne comprends pas bien ce qu'ils veulent dire quand j'entends certains Français : "Au Japon, on a beau faire, on se sent toujours étranger".
Je ne suis pas sûre qu'un Chinois ait davantage de chances d'être pris pour un Egyptien après vingt ans passés au Caire...

30.3.09

"Je suis dans tous les livres que j'ai lus, mais aussi dans tous ceux que je lirai encore."

Je commence à m'habituer à me reconnaître dans les livres.
"Je vais à T. chercher Gwen."

A y voir des lieux de ma vie.
"Il y a une nouvelle librairie qui vient d'ouvrir ses portes à Lille, à deux pas du Furet, à quatre de la Fnac; j'y ai trouvé Vie et opinion de Tristram Shandy, gentilhomme de Laurence Sterne, totalement absent des rayonnages des deux autres enseignes."

A y voir cité un texte que je viens de lire, trois heures auparavant.
"J'aime ce texte de Richard Brautigan, La Plus Petite Tempête de neige."

A force de lire mon passé dans les pages, je finis par penser que mon avenir s'y trouve aussi, certainement.
Qu'il suffirait de savoir dans quel livre.
Face à ma bibliothèque, je me sens comme un personnage en quête d'auteur.

A moins que je me dise, moi aussi, que
"Je suis toute entière dans un livre que je n'ai pas encore écrit."
Régine Vandamme. Ma voix basse.

29.3.09

La lettre

23.

Parfois rien n’était plus uni à rien. Morceaux éparpillés du temps dans le vent qui arrache les pages.
Puis tout se confondait.
Il écrivait des lettres. Ce pathétique mode de communication, lui aurait-on dit.

Rester sans laisser d’adresse.

Francis Dannemark. Les eaux territoriales.

C’est vrai, il m’est déjà arrivé de timbrer et de poster des enveloppes sans adresse.

Mais comment faisait-on avant ?

N’est-ce pas absurde d’envoyer un mail : tu as bien reçu ma lettre ?

Comment faisait-on avant ?

On glissait l’enveloppe dans la boîte et commençait l’attente.

J’attends

28.3.09

Sur les bords (la Sumida)

Quand elle avait annoncé qu’elle travaillait chez Freaks, tout le monde avait poussé des cris enthousiastes et envieux. Certains d’entre eux, pleins d’espoir, lui avaient demandé si elle pourrait leur faire une remise.
Freaks était leur boutique fétiche quand ils étaient au lycée. Et parce qu’elle était trop chère pour eux, ils rêvaient tous des fabuleux métiers qu’ils exerceraient plus tard et qui leur permettraient de dévaliser la boutique.
Une bonne motivation pour réussir les concours d’entrée à la fac !
A présent, ils y étaient, à la fac. La bande s’était disloquée en fonction de leurs résultats à chacun. Ils essayaient de se revoir le week end mais ils avaient leurs révisions, leurs nouveaux amis et, certains d’entre eux, comme elle, avaient trouvé un petit boulot.
Rares étaient ceux qu’elle avait vus franchir le seuil de la boutique depuis qu’elle y travaillait. Non, elle ne pouvait pas leur accorder de remise.
Les prix restaient trop élevés pour leur budget d’étudiants et chacun pressentait que, lorsqu’ils auraient enfin cette carrière qui leur permettrait de s’habiller chez Freaks, ils n’en auraient plus envie.

Elle en voyait, des aussi jeunes qu’eux, aussi désargentés, déambuler dans les rayons, déplier les tee shirts, les contempler rêveusement un moment avant de les reposer en soupirant.
Elle passait derrière eux pour ranger sans regret : elle avait d’autres priorités que de s’acheter ces vêtements colorés. Elle avait tenu à prendre une chambre, aussi devait-elle en assumer le loyer.

Il n’était pas aussi plaisant qu’un lycéen pouvait l’imaginer de travailler chez Freaks. Il fallait rester debout toute la journée, être attentive aux clients et, surtout, tâcher de les entendre malgré la musique assourdissante.
Elle regagnait sa chambre abrutie, ne rêvant que de silence, monopolisant l’énergie qui lui restait à ses travaux personnels.

Les premières semaines, on lui avait fait comprendre qu’il était de bon ton de s’intégrer à l’équipe. Cela signifiait se joindre aux employés qui, ensemble, allaient en boîte le samedi soir après avoir rapidement avalé un hamburger.
Elle s’était pliée à cette coutume trois semaines de suite.
Ses collègues avaient dansé une bonne partie de la nuit pendant qu’elle était restée au bar, en compagnie d’un ancien de la boutique qui avait entrepris de lui en exposer l’historique.
Trois semaines de suite, elle s’était endormie sur le comptoir.
La quatrième semaine, elle était rentrée chez elle après sa journée de travail. Personne n’avait tenté de la retenir.

Elle n’avait pas compris pourquoi il lui avait donné ce rendez-vous. 


En pénétrant dans le métro, elle réalisa que cela faisait des semaines qu’elle n’avait plus quitté le périmètre restreint de Shibuya où elle allait de sa chambre à l’école d’art, de l’école jusque chez Freaks.
Si elle s’était aperçue que le printemps était revenu, c’est parce qu’elle avait installé la nouvelle collection à la boutique.

Elle n’avait pas compris pourquoi il tenait absolument à la voir, elle, ce jour-là. Après tout, ils n’étaient que des copains de lycée qui étaient en train de se perdre de vue.

Il lui avait dit de descendre à la station Kuramae, de gagner les bords de la Sumidagawa et de les suivre jusqu’à Asakusa.
Elle n’était jamais venue dans ce quartier et consulta le plan à la sortie du métro afin de trouver la direction de l’eau.
Il était tôt.

Elle n’avait pas compris pourquoi il lui avait donné rendez-vous si tôt.

Elle longeait les flots odorants de la Sumidagawa que troublait le passage des péniches. Le décor était urbain mais sentait la mer. Et la voie rapide sur l’autre berge de la rivière, le train qui ralentissait lors de sa traversée sur le pont faisaient naître des désirs de voyages, de départ.
Cet espace lui donnait envie de courir, comme les joggeurs qui la dépassaient à petites foulées ou de sautiller comme une petite fille.
Elle ressentait de manière encore plus flagrante son enfermement des derniers mois.

Et puis, au bout de cette promenade inédite, elle les vit.
C’était comme une explosion dans le ciel déjà bleu du matin.
Les sakuras !
Comment n’y avait-elle pas pensé ?
Elle s’arrêta pour embrasser du regard tout le paysage rose et retint les larmes qui menaçaient de poindre.
Ces fleurs fragiles qui, par grappes, alourdissaient les branches des arbres étaient si belles, ce spectacle si émouvant !

Quand elle l’aperçut, assis sur un banc, plongé dans un livre, comme toujours, elle se souvint de ses amies de lycée lui racontant leurs baisers échangés sous les fleurs des sakuras. Elle trouvait cela tellement cliché, si proche du ridicule.

Or, à cet instant, elle comprit pourquoi il lui avait donné rendez-vous là, à cette heure matinale et elle su qu’elle l’embrasserait sur ce banc, sous ces fleurs.
Et ce ne serait pas ridicule.

(Les photos sont de E.. Merci E.)

27.3.09

Là je suis... (3)

Je pense qu'il savait parfaitement que je n'étais pas dupe de son préalable "je vais vous raconter l'histoire d'un de mes amis".
Le contexte de notre rencontre nous avait permis de nous savoir tous deux très coutumiers des procédés de narration.
Qu'il ait choisi celui-là m'avait d'abord attendrie.
Il ne disait jamais rien de lui. Rien ne filtrait. Je savais juste ce qu'il lisait.
J'étais également touchée que ce soit à moi qu'il choisisse de dévoiler son passé pour ce que je devinais être la première fois.
Plus tard, j'ai pensé que s'il s'était dissimulé sous la biographie d'un éventuel ami, c'était pour se protéger mais aussi, et surtout, me protéger moi. Et nous donner une chance de continuer à nous voir. Il me donnait ainsi la possibilité de croire qu'en le rencontrant, je n'étais pas en train de passer du temps avec un assassin. Un assassin qui avait accepté d'être extrait de la prison en devenant ce qu'il avait toujours détesté que son père soit.

Il avait vécu le lavage de cerveau assorti de l'entraînement physique d'un camp de préparation.
Il avait accepté de lier sa vie entière à une organisation qu'il ne serait jamais libre de vouloir quitter.
Il avait renoncé à une vie ordinaire où il est si simple de rencontrer des gens tous les jours, de répondre sans dissimulation aux questions banales : "et toi, tu habites où ? Et tu fais quoi dans la vie ?".
Il était obligé de se cacher en permanence, de ne jamais emprunter les mêmes trajets, de faire des planques pendant plusieurs jours d'affilée dans des endroits glauques et sans hygiène, obligé de désigner des petites frappes incultes si vraiment il tenait à utiliser le mot "ami".
Il était envoyé dans des coins du monde qu'il ne choisissait pas, à des dates qu'il n'apprenait qu'au dernier moment...
Il avait l'impression de commencer à avoir payé pour l'acte criminel qu'il avait commis une douzaine d'années auparavant : il voyait que, contrairement à une peine de prison, la privation de sa liberté n'aurait pas de fin.
Il semblait penser qu'avoir des remords ne lui rendrait rien de plus supportable alors il préférait ne pas en avoir.

M'aurait-il confié son histoire s'il avait su qu'un jour -beaucoup plus tard, certes, mais un jour- je finirais par la répéter ?
Je pense que oui.
Je pense que les moments passés avec moi sur un banc, le temps du sandwich de ma pause-déjeuner étaient les seuls où il pouvait faire semblant de ne pas être un homme traqué autant que traqueur mais un étudiant qui prendrait son temps pour achever la rédaction de son mémoire.
Je pense que ces moments lui permettaient de reprendre son souffle et qu'il savait déjà qu'un jour, il disparaîtrait de ma vie aussi brusquement qu'il y était entré.
Je pense qu'il savait que, à part cela, je continuerai à tout ignorer de lui.
Alors, même si j'avais brandi ma carte, si je lui avais dit : tu sais, moi, dans la vie, je suis :

il m'aurait tout de même livré l'histoire de son soi-disant ami.

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

26.3.09

C'est jeudi !


Dire qu'il y a des gens qui pensent que leur coiffure est accessoire !!! Madame Gâ n'est pas de ceux-là ! Son brushing est toujours impeccable y compris quand elle va relever son courrier dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

25.3.09

Le don


J'ai dit regarde-moi, regarde par là-bas, ne souris pas, oublie-moi, tourne la tête, ne bouge pas.

Il n'était pas impatient. Il n'était pas embarrassé. Il n'avait pas besoin d'être rassuré : il n'était pas inquiet. Il me donnait ce que je voulais, naturellement, sans chercher à savoir ce que c'était. Il était là, simplement.

J'ai dit j'espère que les photos seront réussies.
Il a dit ce n'est pas important.

Je regarde les images et je comprends.
Etre présent, dans l'instant.
Une discrète leçon de savoir vivre.
Il m'a fait un cadeau dont je ne me sens pas redevable. Mais infiniment reconnaissante.

24.3.09

Tuesday self portrait (les bijoux)


Mais ce n'est pas seulement porter des bijoux.

A la braderie de Lille, leurs voix sourient. "Ces perles, on les appelle des yeux de chat".
Rue Louis Philippe, je déballe son cadeau. Sur le trottoir, un baiser.

Vous voyez de la pacotille. Je porte des joyaux.

23.3.09

(Veille de) jour de fête

Toute la ville retient sa respiration et s'économise.

J'aime ce pays poète qui vit chaque printemps comme s'il était le premier.

Ce pays qui vit les fleurs comme un pur bonheur.

22.3.09

Lire l'avenir

"Au nom du ciel, que fais-tu, maman ?
-Oh, je m'auto-analyse, répliqua-t-elle d'un ton enjoué. J'ai pensé qu'une psychanalyse me serait bénéfique. Je suis allée voir un médecin dans notre petite ville. Il se faisait payer cent schillings de l'heure; je ne pouvais tout simplement pas me le permettre, mais lorsque je le lui ai dit, il m'a conseillé de vendre ma voiture et de me restreindre sur mes repas. Imagine un peu ! Alors j'ai décidé de m'auto-analyser. Maintenant, trois fois par semaine, je m'allonge sur le lit et je me parle durant une heure. Je suis très franche. Je ne m'épargne rien de déplaisant. Cette thérapie semble très efficace et, bien sûr, elle ne me coûte pas un centime. Il me reste encore trois quarts d'heure, alors si tu pouvais me laisser seule..."
John Cheever. Les lumières de Bullet Park.

On voudrait pouvoir se reposer de tout cela, de soi, même.
On voudrait croire qu'il suffit de lire l'horoscope de l'année pour que tout s'éclaire.
Qu'il suffit de glisser un billet au creux de la main de la diseuse de bonne aventure pour qu'elle lise dans la nôtre de grandes certitudes.
On voudrait pouvoir faire confiance à la numérologie. Au pendule.
On voudrait pouvoir arrêter de penser.
Mais au fond, on le sait.
On sait qu'il nous faut nous retourner sur notre passé pour avoir foi en notre avenir.

21.3.09

Le grenier (2 ans après)


Laissons le hasard expliquer pourquoi c'est le 21 mars que, il y a deux ans, je me lançai dans un rangement de printemps.
J'avais trouvé dans la rue, quelques jours auparavant, une malle en métal qui fut le prétexte à la frénésie.
Je me souviens parfaitement du joyeux bordel que cette initiative occasionna.
Je sus à peine où poser les pieds pour traverser la pièce encombrée (c'était comme sauter de pierre en pierre, rejoindre l'autre rive à gué) et descendre jusqu'à la cabine téléphonique, y passer une heure que je compte parmi les plus importantes de ma vie.
J'en remontai au tout début du lendemain.
Poursuivre le tri, fermer la malle, enfin la hisser sur l'étagère de la penderie me prit le reste de la nuit.
A cette époque, c'était souvent que je voyais le jour se lever sans avoir encore dormi.

Parce que je connais très bien mon goût pour le déballage mais que je n'ai pas envie de passer une nuit blanche à tout ranger, je n'ai plus ouvert la malle depuis deux ans. A tel point que j'ai totalement oublié ce qu'elle contient.
Je me dis que, peut-être, je ne l'ouvrirai pas avant de déménager et que, ce jour-là, ce sera comme monter au grenier et (re)découvrir ma vie passée.

20.3.09

Là je suis... (2)

Je ne suis pas sensible aux uniformes mais je dois bien avouer que si l'homme du train avait porté un jogging, il m'aurait certainement paru doté de moins de charme.
"-Enfant, c'est ce que vous rêviez de faire ?
-Non, ce n'est que tardivement et un peu par hasard que je le suis devenu."
Il m'a dit que, malgré l'expérience que procure l'ancienneté, rien n'altère la béate admiration devant les paysages ni l'heureux soulagement de l'atterrissage réussi.

Jeune, je n'avais aucun rêve d'avenir, pas même celui d'"une grande maison emplie d'enfants et d'animaux".
Je devais me douter de ce que ça signifiait en terme de pieds crottés, de tenues de sport à laver et faire sécher, de cartables, d'assiettes et de gamelles à emplir.
Or, enfant, avant de savoir lire, ce que je préférais déjà, c'était rêver en paix sur une balançoire, pas jouer à faire le ménage avec un aspirateur miniature.
En classe de 4ème, Delphine était sûre d'elle : "de toute façon, toi, tu seras philosophe !". Cela m'avait autant impressionnée qu'une prophétie. D'autant plus que je ne savais pas bien ce que c'était, être philosophe. Et que j'étais tout à fait incapable de parler de moi au futur.
Encore maintenant, d'ailleurs, j'ai du mal.

"-Et vous, qu'est-ce que vous faites ?"
Je m'y attendais. C'est difficile d'y couper, au cours d'une conversation avec un inconnu.
Et je sais qu'à cette question, il ne suffit pas de répondre, même si c'est vrai :
"-Je marche dans la ville, je lis, je mange sur mon balcon, j'écris dans des carnets, je photographie le temps qui passe..."


Avant même que l'homme du train ne s'éloigne, son lourd bagage à la main, un clin d'oeil en guise d'adieu, je savais que cette romanesque rencontre était unique, que nous resterions l'un pour l'autre heureusement anonymes, compagnons fortuits d'un seul voyage.
Je manque tellement d'a-propos... Il aurait été parfaitement adapté d'emprunter une des vies que Mme Ga m'a imaginée et de répondre nonchalamment :
-Moi ? Je suis...

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

19.3.09

C'est jeudi !


Pas de ragot d'openspace, aucun commentaire sur les tendances printemps/été... Et pourtant nous avons tant à nous dire, Madame Gâ et moi !
Une fois par semaine, notre conversation est publique et glissée dans la boîte aux lettres des jeudis.

18.3.09

Rions ensemble

En quoi les Japonais rêvent-ils d'être réincarnés ???

Eux, ils connaissent la réponse...

17.3.09

Tuesday self portrait (la maturité)


J'ai tellement lu, relu, encore lu les numéros de "100 idées" que je me souviens encore de l'article consacré à la beauté des femmes de 20, 30 et 40 ans. J'étais encore trop jeune pour m'identifier à la jolie brune bouclée de 20 ans... Quant à 40 ans, ça me semblait un âge abstrait. L'âge, disait la femme interrogée, où on a, certes, des rides à cacher et où il est moins facile de perdre du poids mais où on sait parfaitement ce qui nous va en matière de vêtements, coiffure et maquillage...
Moi, j'achète des fringues de rien, vendues par centaines à Tokyo. Mais j'ai compris un truc : si je les porte comme si elles étaient taillées sur mesure... Elles le deviennent.
C'est MON jean, MA veste, MON tee shirt rose.

40 reste encore un nombre abstrait mais je m'en rapproche.

16.3.09

Les mots sous la peau

J'ai reçu sa proposition comme une déclaration d'amour.
Il m'a dit que mes mots pouvaient emprunter son écriture et qu'il les glisserait, ensuite, entre les pages de mes livres préférés, à la médiathèque.

Que penser des livres dont on nous dit : "Tu verras, il se lit vite" ???
Même si je les préfère brefs, j'aime ceux que j'ai envie, bien au contraire, de lire lentement.
Les livres que je voudrais laisser infuser en moi, longtemps, jusqu'à ce que je sois sûre que leurs phrases me restent à jamais, comme tatouées à l'intérieur, sous la peau.
Je vivrai avec le roman de John Cheever. Comme je vis avec les tableaux de Hopper.

"L'étranger a laissé sa femme à l'hôtel Plaza, devant la télévision. La quête d'un toit lui semble revêtir une importance presque primordiale. Les prix sont élevés, de nos jours, et rien n'est exactement ce que l'on cherche. La peinture éraflée et les objets abandonnés par les anciens propriétaires semblent aussi vivants et exigeants que les vêtements et les papiers que l'on trie après un décès dans la famille. Il faudra, il le sait, que la villa ou l'appartement qu'il cherche soit apparus au moins deux fois dans ses rêves. Quand tout sera fini, le jardin planté et les meubles installés, les épreuves du voyage seront camouflées; mais ce soir le souvenir du périple et de la migration coule dans ses veines. Les habitants de Bullet Park n'ont pas tant pour idéal d'être arrivés là que d'y avoir été plantés et d'y avoir poussé, mais ce n'est pas le cas, bien sûr. Désordre, camions de déménagement, emprunts bancaires à taux élevés, larmes et désespoir ont marqué la plus grande partie de leurs départs et de leurs arrivées."
Les lumières de Bullet Park
(La traduction est de Dominique Mainard. Pas de hasard, donc)

15.3.09

Un dimanche en technicolor

Le dimanche y compris, chaque jour est ce qu'on choisit d'en faire.

"Mar.8.1981.Sun.
Lake coin laundry is always crowded but I like here because you can see many different people. Especially I like the color of dryers. N°8 is really light blue and 14, 15, 11 are red wich is nice pastel tone.
I can figure out with prisma color, you see ?"
Goro Sasaki. My old sketchbook.

Un jour noir et blanc, terni par des heures d'ennui passées au salon lavoir, par un repas de famille trop gras, des casseroles à récurer, des cahiers de texte à vérifier ou des tables de multiplication sans joie.
Un jour voilé par la perspective du lendemain : la saveur triste du café en gobelet, la voix atone de la boulangère : "ça va comme un lundi" à l'heure du sandwich poulet-crudités, le trajet en voiture sans regards croisés...

Ou bien un jour vitaminé embelli par Bach au réveil, la couleur matcha du gâteau, le jaune kabocha qui rivalise avec celui du soleil sur le plateau-repas ...

Sur les marches du palais, je lève les yeux vers les bourgeons. Bientôt, très bientôt, ils seront fleurs.

Je tourne encore quelques pages de la correspondance de Simone de Beauvoir :
"La femme laide a vécu de sales moments quand elle appris notre réunion des Temps Modernes, où nous ne l'avions pas conviée. Elle s'est rendue de ce pas dans sa cuisine ouvrir les robinets du gaz. "Mais je n'ai plus la même santé, m'a-t-elle confié, au bout de dix minutes j'ai abandonné." Elle ne désirait pas se suicider. "Ouvrir le gaz, c'était ma réunion littéraire à moi." Elle m'a en outre déclaré qu'elle voulait lire. "Pourquoi maintenant plus qu'avant ? -Parce que maintenant je ne pleure plus alors j'ai le temps de lire."

Et je chante : "Bruxelles, attends-moi j'arrive, bientôt je prends la dérive".
Bashung est mort mais il reste sa voix à jamais. Sa voix qui rend les journées belles.

Le dimanche y compris.

14.3.09

Le jardin du sentier du moulin

Mon père me donne des nouvelles du chat et du jardin et je les préfère aux nouvelles du monde.
La première salade, les semis sous la serre, le chapeau. Il dit les premiers narcisses. Il dit bientôt ce sera un petit festival.
Ses photos montrent l'allée sous la neige, les plantes dans le salon. Les yeux clos de l'animal tigré blotti sur un lit.

Moi aussi, je lui parle de mon jardin.
Les renoncules font des explosions de couleurs.
Les fleurs laiteuses des magnolias se balancent dans le vent.
Bientôt, très bientôt, ma rue sentira le jasmin.

Chaque jour, mon père arpente les 1000m2 de son domaine.
Mon jardin à moi est infini : il s'appelle Tokyo.

13.3.09

Là je suis... (1)

"Des journées comme celles-là, on en a tous connu. Tout ça avait un côté aventure, si vous voyez ce que je veux dire, la pluie et le reste mais uniquement si votre conception de l'aventure consiste à rester assis dans une cafétéria et à commander ce que vous voulez."

Oui enfin, en même temps, le simple "parce que c'est elle, parce que c'est moi" est un peu réducteur pour expliquer notre amitié.
Parce que je peux, moi, dire l'exact moment où j'ai su qu'une grande histoire commençait entre nous : quand j'ai compris qu'elle aussi, elle aimait les cafétérias.
Et on a immédiatement su que, pour nous, le mot cafet' désignait tous ces endroits de rien qui gonflent notre coeur autant par le bonheur qu'on a d'y être que par le cafard qu'ils sont à deux doigts de nous inspirer. Ces cafés ou ces restaurants simplissimes, aux toiles cirées usées, aux pichets en plastique, aux sièges d'un temps qui n'est pas le nôtre et où la carte craquelée sans surprise révèle une cuisine parfois savoureuse. Un bol d'oden. Une soupe au cerfeuil. Une glace pillée.
C'est sur le fil, c'est indicible, c'est fragile, ce qui se dégage de ces lieux-là.
C'est comme quand le soleil ne s'arrête pas de briller alors qu'il tombe une petite averse.

Aussi quand Madame Gâ m'offre le jeu de cartes des vies qu'elle m'a imaginées, elle ne s'y trompe pas.
Grâce à elle, là je suis...

"Quand apprend-on que le monde, comme n'importe quelle cafétéria digne de ce nom, est ouvert 24H sur 24 ?"
Daniel Handler. L'amour adverbe.
(Et Daniel Handler, qui a tout compris aux cafétérias et à l'amour pourrait faire partie de notre bande)

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

12.3.09

C'est jeudi !


Et aujourd'hui, c'est de jours et de lune dont il est question dans le courrier hebdomadaire que j'adresse à Madame Gâ dans la boîte aux lettres des jeudis.

11.3.09

La lettre d'amour

Les mots d'amour ne meurent pas. Même devenus sépia, ils ne perdent rien de leur éclat et continuent à faire battre les coeurs.

Parce que sa main n'a pas tremblé pour ajouter "à toi pour toujours" à sa signature, faudrait-il sourire de Cathy ?
Toujours c'est long et périlleux mais comment pourrait-on douter d'un tel serment ?

Moi j'écris longtemps
(J'espère qu'il n'en doute pas non plus.)

10.3.09

Tuesday self portrait (ma couleur thé 2)


Sur le balcon à midi : tonyu macha latte et club sandwich purée de kabocha au curry et pomme.
Ma couleur thé est souvent verte, aussi.
(Clin d'oeil coloré aux buveuses de thé de mardi dernier!)

9.3.09

L'extinction

Sur la route du retour, j'aurais pu m'arrêter cent fois, les enseignes brillent longtemps dans la rue du samedi...
Mais les lunes ne sont pas assez printanières encore pour me donner envie de nuits plus jolies que mes jours.

Elle a dit qu'on ressemblait à des soeurs. Elle a ajouté : "à des jumelles". Pour y croire, il faudrait admettre que des jumelles puissent n'avoir ni le même âge, ni la même nationalité.
J'ai été embarrassée pour la féliciter parce que les mots me sont venus dans toutes les langues à la fois mais toutes les langues... ça n'en fait jamais que trois...

Et c'est exactement à ce moment-là que j'ai perdu ma voix.

8.3.09

Le papier peint de l'avenir

Quand le dimanche est gris, je mélange une carotte râpée et de la purée d'amande à la pâte du gâteau.
 Anne Herbauts. Les moindres petites choses.

Et je passe la journée sous les couvertures.
Martine Laffon, Fabienne Durckel. Une si jolie rencontre.

Il n'y a pas que des mots dans les pages.
doublebob. Le chat n'a pas de bouche vous aime beaucoup.

Plus que les magazines de déco, les livres d'images me font rêver à l'avenir.
Guillaume Reynard, Jean-Claude Taki. Lettres Kazakhes.

Un jour, ailleurs et dans un autre décor, j'enfournerai le gâteau, mettrai l'eau à chauffer et le pianiste arrivera à l'heure du thé.
bastien quignon. Eisbär n°1.

7.3.09

Nos vies brèves


Je n'aimais pas l'urgence à laquelle on voulait me faire croire. Et les titres entourés nerveusement dans la colonne des meilleures ventes de Livre Hebdo. Les piles qu'il fallait changer tous les trois jours et celles dont il fallait compter le nombre d'exemplaires à l'entrée du magasin.

Il fallait vendre, pas lire, je suis partie.

Je sais que les livres sont mortels. Mais je le suis aussi. Et ma vie est plus brève que celle de beaucoup d'entre eux.
A la bibliothèque, certaines dates d'emprunt sont antérieures à celle de ma naissance. ça me rassure.
Les livres savent m'attendre.

6.3.09

Une recette de Simone

Pluie, vent, neige, froid... Le temps est à la soupe de légumes variés.
Et je songe à adopter la recette de Simone... pour réchauffer mon lit...

"En réalité, je peux cuisiner. Au début de la guerre, j'étais professeur et je gagnais peu d'argent, et mon amie californienne qui n'était pas encore californienne, qui n'était rien, comptait sur moi pour l'entretenir, alors j'ai loué une chambre avec cuisine et pendant trois ans j'ai tout cuisiné pour l'amie, Sartre et moi-même. En un sens c'était facile parce qu'on ne trouvait strictement rien, sauf des navets, des choux, des nouilles et des patates de temps en temps en temps, nourritures se cuisant simplement à l'eau. La seconde année, la vieille dame envoyait de la viande une fois par semaine et j'ai même reçu des amis à dîner dans la chambre rose. C'était facile mais en un autre sens plus difficile que ça ne l'est pour vous; en effet, la viande arrivait toujours un tant soit peu pourrie et je devais ruser pour que personne ne perçoive le sale goût vicié. Quant aux nouilles, elles grouillaient de vers, les haricots de charançons, c'était un vrai travail de les trier. Et puis, tout en préparant les choux à l'eau, il fallait affirmer hautement qu'ils étaient au beurre. Le gaz manquant, j'enfouissais la soupe et le chou dans mon lit quand la cuisson avait commencé pour qu'elle s'achève sans en dépenser. (...)
Pendant la semaine de la Libération, le gaz ayant totalement disparu, nous cuisinions sur des feux de papier journal, en les alimentant sous la casserole jusqu'à complète cuisson des nouilles, tâche longue et fastidieuse. Eh bien, cette vie a duré trois ans, j'en avais fait un jeu qui m'amusait; maintenant que le jeu n'a plus de raison d'être, je déteste cuisiner peut-être plus qu'avant."
Simone de Beauvoir. Lettres à Nelson Algren.

5.3.09

C'est jeudi !


Je ne sais pas vous mais moi, je sors (hélas) plus souvent de ma boîte aux lettres des factures que des déclarations d'amour.
Heureusement, tous les jeudis, la lettre que Madame Gâ poste ICI me console de (presque) tout.

(Rappel des épisodes précédents pour d'éventuels lecteurs de fraîche date : Madame Gâ et moi avons bu des litres et des litres de thé, marché pendant des kilomètres et des kilomètres, nous sommes retrouvées dans de nombreux, très nombreux cafés et y avons passé de longues, très longues heures à parler... pendant les deux ans qu'elle a passés à Tokyo. A présent que nous sommes séparées, nous nous écrivons tous les jeudis et nous postons dans cette boîte aux lettres notre courrier public...)

4.3.09

"des choses vivent sans moi"

Certains jours, j'ai l'impression de vivre dans mon appareil photo. Je sais que je suis sur le mode couleur. Et, pourtant, le résultat est noir et blanc.

Des rendez-vous me font traverser les rues, me font marcher sous la pluie, sous la neige.
Mais quand les feux passent au vert, c'est un peu sans moi : je marche dans une chanson de Mendelson.

"c'est sourd et puis ça flotte tout autour de moi
c'est comme la mer morte qui pèse au fond de moi
et des choses vivent à l'intérieur
des choses vivent dans les profondeurs
des choses vivent sans moi
des choses vivent sans moi, comme toi
comme toi, je ne suis plus là
ça va
j't'appelle jamais, j'peux pas
et pourquoi ?
pour quoi faire
alors voilà
tu sais j'm'inquiète,
tu sais que j'm'inquiète pour toi"

3.3.09

Tuesday self portrait (ma couleur thé)


Partir de chez soi avec, en tête, la couleur de la boisson du jour, afin d'y assortir sa tenue.
Orange pekoe dans le verre.

2.3.09

J'ai pas sommeil

Dormir, c'est comme regarder à l'intérieur de soi. Surtout quand, au réveil, on note un rêve que, plus tard, on tente de lire, entre les lignes.

Quand les gens ont un livre posé sur les genoux, on ne sait pas toujours si leurs yeux sont baissés ou fermés.
Sauf quand leur lecture est verticale.

1.3.09

Simone (aussi) est amoureuse

Quand j'ai dit à Ju que j'avais pris le thé avec Simone, ça l'a fait rire.
Il est tout de même plus facile de prendre un thé avec Virginia .
Parce que Simone, elle, est plutôt au double scotch !

"L'avion a décollé. J'aime les avions, lorsqu'on a atteint un certain degré d'émotion c'est le seul mode de transport qui s'harmonise avec l'état du coeur, je trouve. L'avion, l'amour, le ciel, la tristesse et l'espoir formaient un tout. Je pensais à vous, me rappelais avec soin chaque détail (...)
Nous n'aurons pas de réveil car ce n'était pas un rêve; c'est une merveilleuse histoire qui ne fait que commencer. Je vous sens avec moi, là où j'irai vous irez, non votre seul regard, vous tout entier. Je vous aime, il n'y a rien d'autre à ajouter. Vous me prenez dans vos bras, je me serre contre vous, je vous embrasse comme je vous embrassais.
Votre Simone"
17 mai 1947. A bord de la K.L.M. Samedi après-midi, Terre-Neuve.

"Je suis fière de nous, nous sommes remarquables d'avoir profité à ce point du temps si court qui nous a été donné. Je me rappelle, vous m'avez dit la première nuit dans le taxi : "Nous n'avons pas de temps à perdre." J'avais les mêmes mots sur les lèvres : "Pas de temps à perdre." Eh bien nous n'avons pas gaspillé une minute, je n'ai pas l'impression que nous n'ayons eu qu'une semaine à nous, je me sens reliée à vous par des centaines de liens qui ne seront jamais brisés.
Mon ami, mon amant, vous me donnez beaucoup même de loin. penser à vous m'apporte sérénité et bonheur. Des baisers vous diraient mieux combien vous m'êtes cher. Je vous aime.
Votre Simone"
Lundi 12 juin 1947.
Simone de Beauvoir. Lettres à Nelson Algren.