19.8.09

Les interviews de Marguerite (3 : le directeur littéraire)

-Y a-t-il une répartition géographique de la littérature en France ?
-Non, elle est à la fois très dispersée, et très égale. On écrit partout. Il y a au moins un écrivain virtuel dans chaque petite ville. Dans une ville de 80000 habitants, il faut en compter quatre ou cinq. Orléans, par exemple, sans compter les fermes isolées. Quand un lecteur (d'une maison d'édition) traverse la France, il sait que dans telle ville, à telle adresse, habite un monsieur qu'il connaît très bien sans l'avoir jamais vu.

-Quel est le pourcentage de la littérature éditée ?
-Un pour cent environ. Quatre-vingt-dix-neuf manuscrits sur cent environ retournent à jamais à leur auteur.

-Peut-on classer grosso modo ce monstrueux rebut ?
-Oui. On peut tout d'abord parler d'une littérature brute. Elle occupe le tiers des manuscrits. Beaucoup de retraités, dans cette catégorie-là, des retraités de carrières coloniales précisément, puis des officiers, des fonctionnaires. Leur défaut commun est de penser : "Quel roman que ma vie", et de ne pas savoir distinguer ce qui a un intérêt général et ce qui n'est que souvenir à usage familial. Ils ne parviennent pas à donner à leurs écrits un intérêt général. Beaucoup écrivent afin de corriger des lieux communs dans l'esprit du public .
A côté des retraités, les philosophes réformistes. Il y en a beaucoup. Je parle des autodidactes délirants. Ils inventent des systèmes très cohérents qui leur demandent des années de mis au point et à partir desquels on doit pouvoir remédier à tous nos maux, arriver à avoir une bonne république, une bonne monnaie, un bon équilibre moral, etc.

-Le critère, dans cette sous-catégorie, n'est-il pas parfois délicat ? Pourquoi pas eux, plutôt que, par exemple, à l'origine, Fourier avec sa commune sociétaire ?
-Parce qu'aucun de ceux-là ne tient compte de la réalité, d'une part. Et que, d'autre part, ils sont d'une inculture certaine, mais philosophante. Ils ignorent tout de leurs prédécesseurs. Plus c'est absurde, plus l'auteur est véhément, persuadé de son génie. Ce sont des gens qui doivent bouillir et tellement qu'on ne pense pas sans inquiétude à leur voisinage. Surtout les ruraux. Parfois, on pense même que l'on devrait prévenir le garde champêtre de faire attention à tel individu.

-Est-ce que les auteurs de cette littérature brute ignorent parfois jusqu'aux usages de l'édition ?
-Souvent. Il y a quelques années, un homme est venu me vendre un manuscrit. Il voulait se faire un peu d'argent, disait-il, parce qu'il quittait "la patronne". Il comptait sur ce manuscrit, qu'il portait dans sa malle et tenait à me le vendre, brut, séance tenante. La lecture en était, de son point de vue, secondaire.

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